Art ancien

XVIIe siècle

Ribera : l’auberge espagnole

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2015 - 659 mots

Des œuvres attribuées à cet émule du Caravage refont surface par dizaines, dans les musées, les galeries et les salles de ventes.

STRASBOURG - L’exposition consacrée par le Musée Jacquemart-André à l’historien de l’art florentin Robert Longhi (1890-1970) [lire ci-dessus] se termine par trois tableaux étonnants. Après les Masaccio et Caravage qu’il a commentés dans sa prose inimitable, le musée parisien conclut par les trois apôtres les plus prenants d’une série qu’il a reliée à l’œuvre d’un artiste appelé « le Maître du Jugement de Salomon », une composition de la Galerie Borghèse à Rome.

En 2002, le spécialiste Gianni Papi proposa de l’identifier en Jusepe Ribera (José de Ribera, 1591-1652), épigone renommé du Caravage. Depuis, cette hypothèse n’a cessé de séduire, au point qu’une soixantaine de tableaux viennent gonfler l’œuvre de ce peintre valencien, passé par Rome avant de s’installer à Naples. Coïncidence, plusieurs se retrouvent en ce moment au Grand Palais à Paris et à Strasbourg.

Jacquemart-André aligne donc trois des apôtres trouvés par Longhi, la tête nimbée d’un halo sur fond monochrome, traversé pour deux d’entre eux par un rai lumineux en oblique. Saint Barthélemy est saisissant en vieillard édenté et chauve, tenant le couteau de son martyre et la peau qui lui a été arrachée. Les mêmes personnages apparaissent effectivement dans le Jugement de Salomon de la Galerie Borghèse.

Au Grand Palais, Guillaume Kientz a rapproché deux autres saints de la série d’une tête attribuée à Velázquez dans la rétrospective qui lui est actuellement consacrée (lire le JdA no 433, 10 avril 2015) . Preuve que cette question reste ouverte, les deux catalogues ne s’entendent ni sur la date d’acquisition de ces apôtres par Longhi, ni sur leur nom, ni même sur leur nombre. Ils se rejoignent cependant pour situer leur provenance dans un collège des Apôtres, figurant en 1624 chez les descendants d’un diplomate espagnol à Rome, Pedro Cosida, dit « Pietro Cussida ». Ces « apostalodos », réunissant une douzaine de tableaux, s’inscrivent en effet dans une tradition hispanique promue par le Greco.

Jeunesse romaine
Guillaume Kientz a voulu faire un point sur la jeunesse romaine de Ribera en s’associant à deux conservateurs en province, Guillaume Kazerouni (Rennes) et Dominique Jacquot (Strasbourg). Après le Musée des beaux-arts de Rennes, leur exposition est visible à Strasbourg, au Palais Rohan, où se trouve le Saint Pierre et saint Paul de Ribera. L’accompagnent deux découvertes de Michel Laclotte, un beau Christ parmi les docteurs, trouvé dans une église de Langres (Haute-Marne) et provenant de la collection romaine du marquis Giustiniani, où il était recensé en tant que Ribera, et un apôtre du Musée de Montauban. Est aussi présentée une autre série d’apôtres, représentés à mi-corps – précédés d’un parapet et d’un cartel précisant leur nom –, enrichie de deux récentes acquisitions, du Louvre et de Rennes. Les recherches confirment leur appartenance à un même ensemble. Ces figures sont cependant loin de posséder la même force que celles retrouvées par Longhi. Aucune ne trouve son origine à Rome. Il suffit en outre de s’attarder au long de l’exposition sur le détail des mains, des livres ou des phylactères pour constater les écarts flagrants en qualité et en traitement des œuvres…, même en tenant compte de la jeunesse de l’artiste, de sa fougue ou de la dégradation de certains tableaux, dont un Christ qui fait peine à voir.

La question d’un atelier (Ribera était ainsi accompagné d’un frère, dont on ne sait rien) reste entière. À Rome, les artistes se partageaient les modèles. La durée du séjour du « petit Espagnol » demeure disputée : aucun document ne permet d’avancer qu’il ait résidé si longtemps à Rome. Irrité par les objections opposées à ses arguments stylistiques, Gianni Papi multiplie dans ses commentaires les auto-citations, à un point embarrassant. Beaucoup s’effraient cependant de l’effet domino de ces réattributions, qui font vibrer le marché de l’art. Autant d’éléments qui incitent à redoubler de prudence dans un débat loin d’être clos.

Ribera à Rome, autour du premier Apostolado

Jusqu’au 31 mai, Palais Rohan, 2 place du château, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 52 50 00, musees.strasbourg.eu, tlj sauf mardi 10h-18h, entrée 4 €. Catalogue, coéd. Palais Rohan, Strasbourg/Musée des beaux-arts de Rennes, 138 p., 17 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°435 du 8 mai 2015, avec le titre suivant : Ribera : l’auberge espagnole

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