Une dose de pigment

À Antibes, l’art peut guérir, à l’hôpital comme au musée

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 27 août 1999 - 587 mots

En 1378, à Florence, une nouvelle branche de la guilde des médecins et apothicaires est créée, celles des peintres. Suivront de nombreuses rencontres entre l’art et la médecine, à travers représentations, recherches ou expériences. Explorant peintures, sculptures, installations et performances, le Musée Picasso d’Antibes propose une lecture de l’art comme médecine au XXe siècle.

ANTIBES - “On entre chez le marchand de tableaux comme chez un pharmacien, en quête de remèdes bien présentés pour des maladies avouables.” Placée en exergue de l’exposition, dans l’escalier qui mène à la première salle, cette citation de Georges Bataille pose, avant même la visite, une question inhérente au thème de l’“art médecine” : quels remèdes pour quelles maladies ? Les maux sont divers et, en fait, souvent imprécis ; quant à la médecine, elle est tout aussi variée.

Pour Maurice Fréchuret, commissaire de l’exposition avec Thierry Davila, le sujet, rigoureusement analysé et balisé dans le catalogue, peut se diviser en deux parties, thématiques et historiques : “l’œuvre médecine en tant que telle, et l’artiste guérisseur”. Ainsi, une anecdote avérée par de nombreuses sources rapporte que Matisse confiait ses tableaux à des amis souffrants dans le but de favoriser leur convalescence. Aragon voulait amener Elsa dans l’atelier du peintre à Nice afin de provoquer un effet salutaire, “comme on ouvre une fenêtre sur le soleil [...], pour lui détourner le cœur”. La situation extraordinaire du musée, surplombant la mer, offre aux œuvres de Matisse placées dans un espace toutes fenêtres ouvertes, à côté des études colorées de Léger pour l’hôpital de Saint-Lot, la possibilité d’exercer leur action salvatrice. Le Fauteuil-Rocaille de 1946 y fait respirer à plein poumons.
L’accrochage joue agréablement de l’éclairage puisque, contrastant avec la première salle, les œuvres “talisman” d’Antoni Tàpies – dont la précieuse Croix de papier journal, réalisée en 1946 sur une rubrique nécrologique, probablement la première apparition de ce motif chez le peintre –, sont plongées dans une obscurité que rompt l’irruption subite de la lumière du jour, dans laquelle baignent trois grands formats de Sam Francis. Le Large Yellow (1952), de l’Américain, grande toile jaune à l’aspect cellulaire, met en évidence le caractère organique et enveloppant de la couleur.

De l’objet médicament à l’artiste guérisseur, la figure chamanique de Beuys opère le passage. Mais il est également question d’enveloppe, de pansement, non plus coloré, mais chaud et gris : le feutre, décliné en Costume, Couverture ou en Chaise. Médium sensitif, il ne trouve pas pour autant sa place dans le vocabulaire plastique de Lygia Clarck, aujourd’hui disparue, qui  apparaît comme la figure maîtresse du sujet développé dans l’exposition. Fabrice Hybert produit des essais de Peintures homéopathiques ; Claire Roudenko-Bertin flirte avec l’industrie pharmaceutique et réalise des Portraits et Paysages homéopathiques, complétés par des consultations médicales toutes artistiques. Quant à Marie-Ange Guilleminot, elle propose des espaces et objets qualifiables de paramédicaux. Mais Clarck franchit le pas de l’hypothétique, amorçant une pratique de “médecine parallèle”. Avançant dans un contexte psychanalytique, l’artiste brésilienne pratique à Paris, entre 1973 et 1984, une véritable méthode thérapeutique de groupe, aidée de ses “objets relationnels”. Le visiteur est convié à utiliser ces masques, combinaisons ou sculptures sensorielles, mêlant eau et coquillages. Malades et personnel de l’hôpital d’Antibes sont invités à faire de même pendant la durée de l’exposition : acte audacieux, aisément critiquable, atténuant la frontière entre l’art et la médecine, ou l’art et la vie.

L’ART MÉDECINE

Jusqu’au 10 octobre, Musée Picasso, château Grimaldi, 06600 Antibes, tél. 04 92 90 54 20, tlj sauf lundi, 10h-18h. Catalogue, RMN, 280 p., 200 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°87 du 27 août 1999, avec le titre suivant : Une dose de pigment

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