Art ancien

XIIE-XVIIIE SIÈCLES / VISITE GUIDÉE

Un autre regard sur Greuze

Par Marion Krauze · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2025 - 797 mots

Le Petit Palais dresse le portrait d’un peintre sensible et engagé, loin des clichés qui lui collent à la peau.

Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), Septime Sévère reprochant à son fils Caracalla d’avoir voulu l’assassiner, 1767-1769, huile sur toile, 124 × 160 cm, Paris, Musée du Louvre. © GrandPalaisRmn / Michel Urtado
Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), Septime Sévère reprochant à son fils Caracalla d’avoir voulu l’assassiner, 1767-1769, huile sur toile, 124 × 160 cm, Paris, Musée du Louvre.
© GrandPalaisRmn / Michel Urtado

Paris. « Greuze compte parmi les artistes les plus importants et les plus audacieux du XVIIIe siècle », lit-on, en préambule de l’exposition du Petit Palais. Ici réside tout l’enjeu d’une exposition sur Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) : montrer l’originalité d’un peintre dont la virtuosité technique n’est pas à prouver, mais dont l’œuvre a bien souvent été perçue comme convenue voire mièvre. « Greuze est méconnu en France, peut-être mal compris. Il n’y a jamais eu d’exposition qui lui a été consacrée à Paris, or c’est ici qu’il a rencontré un immense succès ! On s’évanouissait devant ses œuvres, il était adulé par les critiques de l’époque… », souligne Annick Lemoine, directrice du Petit Palais, qui assure le commissariat avec l’historienne de l’art Yuriko Jackall (spécialiste du peintre) et Mickaël Szanto (professeur d’histoire de l’art du XVIIIe siècle à la Sorbonne).

Une exposition sous le prisme de l’enfance

« L’exposition est monographique puisqu’elle déroule toute la longue carrière de Greuze, mais nous avons aussi voulu faire découvrir ou redécouvrir son œuvre sous le prisme d’un thème : celui de l’enfance », ajoute-t-elle. L’angle est pertinent. Tout du long de sa carrière, le peintre portraiture une multitude d’enfants, malicieux ou bien songeurs, tantôt amusés, tantôt effrayés. Et de ce sujet de prédilection, transparaît une grande liberté de création. Ses compositions – rarement des commandes – sont très signifiantes, souvent chargées de valeurs morales, ce qui fait du sujet de l’enfance une belle porte d’entrée pour saisir l’art de Greuze, son évolution ainsi que ses convictions personnelles.

Une centaine de tableaux, dessins et gravures sont présentés, parmi lesquels des œuvres structurantes dans sa carrière. Prêté par un collectionneur privé anglais, l’émouvant portrait de sa fille cadette, Une enfant jouant avec un chien, est l’un de ses premiers grands succès, très apprécié lors de sa présentation au Salon de 1769. Quant à sa spectaculaire composition Septime Sévère reprochant à son fils Caracalla d’avoir voulu l’assassiner (voir ill.), prêtée par le Louvre, elle bénéficie d’une salle entière où elle est mise en regard avec plusieurs de ses études. Rare incursion de Greuze dans la peinture d’histoire, l’œuvre capte la tension entre un père et son fils adolescent, sur fond d’histoire antique. Sa présentation, en tant que morceau de réception à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1769, s’était cette fois-ci soldée par un retentissant échec. Aux côtés de ces peintures majeures, l’exposition a aussi le mérite de faire la part belle aux œuvres méconnues, voire inconnues de l’artiste, ainsi qu’à de nombreuses études préparatoires. Plusieurs tableaux et dessins, souvent issus de collections privées, ne faisaient pas partie de la rétrospective dijonnaise de 1976 (la dernière grande exposition consacrée à Greuze) et sont ici présentés pour la première fois, à l’instar d’une délicate Jeune fille pleurant son oiseau mort réapparue récemment sur le marché.

Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), La Cruche cassée, 1771-1772, huile sur toile, 109 × 87 cm, Paris, Musée du Louvre. © GrandPalaisRmn / Angèle Dequier
Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), La Cruche cassée, 1771-1772, huile sur toile, 109 × 87 cm, Paris, Musée du Louvre.
© GrandPalaisRmn / Angèle Dequier

Finalement, loin de donner à voir une production uniforme, le Petit Palais met bien en lumière les différentes manières dont Greuze s’empare du thème de l’enfance, lui qui excelle dans le rendu des expressions et émotions. La scénographie, sobre et imaginée par Matteo Soyer de l’agence NC, invite à progresser au rythme des cimaises : scènes de famille et portraits intimes se détachent sur fond vert puis violet tendre, tandis que le passage à des tons sombres marque la transition vers des scènes plus dramatiques, où Greuze confronte d’innocentes jeunes filles à la violence humaine ou à la mort. Cette dernière partie est, en ce sens, particulièrement marquante. Dans La Cruche cassée (voir ill.), l’un de ses chefs-d’œuvre, le peintre multiplie les détails signifiants : le regard vide de la belle jeune fille, la manière dont elle agrippe son bas-ventre, la présence d’une cruche fendue et d’un œuf cassé sont autant d’indices dévoilant l’abus dont elle vient d’être victime. Plus loin, le rapprochement du portrait d’un chasseur d’oiseaux, image du séducteur prédateur, avec son dessin préparatoire permet de saisir les nuances apportées par Greuze, qui tempère la dureté de son regard dans la composition finale.

L’autre fil rouge du parcours, celui de la vie de l’artiste, s’articule plutôt bien avec le thème de l’enfance. Greuze est lui-même père, connaît une vie de couple mouvementée et prend part aux grands débats qui traversent le siècle des Lumières. « Si Greuze est aussi original, c’est également parce qu’il se fait l’écho, l’interprète voire le défenseur des débats de société autour de l’enfance. Car c’est au XVIIIe siècle que l’enfance est enfin considérée comme un âge à part entière », rappelle Annick Lemoine. Par son pinceau, il interroge le recours aux nourrices, pointe les bienfaits de l’allaitement, l’importance de l’éducation de l’enfant…, des œuvres pertinemment mises en parallèle avec quelques écrits de philosophes et traités de son temps.

Jean-Baptiste Greuze. L’enfance en lumière,
jusqu’au 25 janvier 2026, Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°664 du 31 octobre 2025, avec le titre suivant : Un autre regard sur Greuze

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