Ouzbékistan - Biennale

XIXE-XXE SIÈCLES / VISITE GUIDÉE

À Boukhara, l’art contemporain réinvente le patrimoine ouzbek

Pour sa première édition, la biennale ouzbèke fait de l’art contemporain le révélateur de la richesse du patrimoine local, tant matériel qu’immatériel.

Boukhara (Ouzbékistan). La première Biennale de Boukhara (5 septembre-20 novembre 2025) se tient dans le centre historique de la ville. Situé sur les routes de la soie, celui-ci fut le premier site d’Ouzbékistan inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, en 1993. L’un des plus beaux exemples de cité islamique d’Asie centrale, le site a récemment fait l’objet d’importants travaux de rénovation, comprenant la piétonnisation du centre-ville et la réouverture de plusieurs monuments à l’occasion de la biennale.

Outre ce joyau patrimonial, la direction artistique de la biennale a placé le patrimoine immatériel au cœur de son projet curatorial. Celui-ci reflète le dynamisme du pays dans ce domaine, fort de 16 inscriptions au patrimoine immatériel de l’Unesco depuis 2008. Placée sous l’égide de l’Art & Culture Development Foundation (ACDF), organisation gouvernementale présidée par Gayane Umerova et de la commissaire américaine Diana Campbell, la biennale impressionne par la cohérence de sa direction artistique, à travers plus de 70 œuvres conçues in situ par autant d’artistes issus d’une quarantaine de pays. Loin de toute posture narrative superficielle, les traditions vernaculaires ont été intégrées de manière organique aux œuvres, toutes commandées et réalisées sur place, avec des artisans locaux et à partir de matériaux produits sur le territoire.

Une œuvre recyclée en école d’art

Close (2024-2025) (voir ill.) est ainsi le fruit d’une collaboration entre l’artiste britannique Antony Gormley et l’artisan ouzbek Temur Jumaev, tous deux crédités dans le catalogue de la biennale. L’œuvre se présente comme une installation monumentale dans la cour intérieure de la mosquée Khoja Kalon, datant de la fin du XVIe siècle. Rappelant, de prime abord, la configuration de stèles funéraires, les différentes unités évoquent en réalité diverses postures du corps humain, selon la facture pixelisée caractéristique des sculptures de Gormley. Ces figures sont formées de larges briques façonnées à partir de terre prélevée sur place, mêlée à de la paille, selon une technique traditionnelle de foulage et de fermentation. Une fois démontées, ces briques serviront à la construction d’une école d’art à Boukhara, conformément aux vœux de Gormley.

Les autres œuvres explorent diverses traditions, comme la tapisserie, la céramique, les arts vivants, et les arts culinaires. Le titre de la biennale, « Recipes for Broken Hearts » («Recettes pour cœurs brisés »), fait d’ailleurs référence au palov (ou plov), plat de riz pilaf ouzbek qu’Avicenne, médecin et érudit du Xe siècle originaire de la région de Boukhara, aurait inventé comme remède médicinal pour un prince en mal d’amour. Inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco depuis 2016, le palov fut servi à tous les convives lors du vernissage de la biennale.

Cette innovation matricielle, curatoriale autant qu’artistique, s’accompagne d’un art de la mise en scène inspiré, où les œuvres dialoguent entre elles et avec les sites historiques sans jamais s’y heurter. Elle incarne également le creuset culturel multiséculaire qu’est l’Ouzbékistan : un carrefour des civilisations, des courants de pensée et des flux migratoires.

Cette scénographie soignée permet de mettre en valeur la scène artistique ouzbèke ainsi que l’artisanat local, avec plus d’une centaine d’artisans impliqués. Parmi la vingtaine d’artistes du pays sélectionnés, plusieurs révélations se distinguent, notamment Aziza Kadyri, avec son installation textile et cinétique Cut From the Same Cloth (2024-2025), et Oyjon Khayrullaeva, avec Eight Lives (2024–2025), mosaïques en céramique inspirées des mausolées de Samarkand et de leurs nuances de bleu.

Gratuite pour tous, la biennale est déjà un succès public avec 500 000 visiteurs le premier mois. Cette réussite est d’autant plus notable au regard des ressources limitées du pays : avec une population jeune d’environ 37 millions d’habitants, comparable à celle de l’Arabie saoudite, l’Ouzbékistan affiche un PIB dix fois inférieur. Ce succès calibré découle d’un apprentissage progressif, nourri notamment par les dix éditions de la « Tashkent International Biennale of Contemporary Art » (depuis 2001) et par l’expérience de Diana Campbell, directrice artistique du Dhaka Art Summit depuis plus de dix ans.

Malgré un régime encore autoritaire, la centralisation culturelle opérée par l’ACDF a permis de porter un projet inspiré grâce à une approche intégrée et synergique. Inscrite au cœur de la stratégie de diplomatie culturelle du pays, la Biennale de Boukhara a notamment bénéficié du soutien de l’Arabie saoudite. L’organisation, pour la première fois hors de Paris, de l’Assemblée générale de l’Unesco à Samarkand en novembre 2025, deux semaines avant la clôture de la biennale, témoigne de la volonté de montée en puissance internationale de l’Ouzbékistan.

Biennale de Boukhara
jusqu’au 20 novembre, Ville de Boukhara, Ouzbékistan.
www.bukharabiennial.uz

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°664 du 31 octobre 2025, avec le titre suivant : À Boukhara, l’art contemporain réinvente le patrimoine ouzbek

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