Un nouveau musée privé devrait ouvrir en Suisse en 2027 autour d’un ensemble inédit de l’artiste normand. Le Musée Marmottan Monet en dévoile une grande partie.

Paris. Si ses œuvres apparaissent souvent dans les manifestations consacrées à l’impressionnisme et particulièrement à Claude Monet, Eugène Boudin (1824-1898) reste méconnu du grand public. Ceci en dépit d’une rétrospective organisée au MuMa (Le Havre) en 2016 et d’un musée à son nom, à Honfleur (Calvados), lequel a présenté en 2024 l’ensemble du legs qu’il lui a accordé. Le spécialiste du peintre, Laurent Manœuvre, qui a participé à ces expositions, est le commissaire de celle présentée sous le titre « Le père de l’impressionnisme » au Musée Marmottan Monet. Réunissant 90 huiles, aquarelles et pastels de Boudin mis en relation avec dix œuvres de Monet (1840-1926) et une de Johan Barthold Jongkind (1819-1891), elle parcourt de manière chrono-thématique la carrière de celui que Camille Corot a surnommé « le roi des ciels ». Depuis ce qu’il appelait les « tableaux de salle à manger » (natures mortes et bouquets) qui l’ont fait vivre dans sa jeunesse jusqu’aux vues de Venise, le public peut suivre son évolution, tant dans les esquisses et pochades rapidement réalisées sur le motif dans ce style enlevé qui fait aujourd’hui la célébrité de l’artiste, que dans les tableaux de Salon ou les commandes plus « finies » peintes en atelier. Seul manque le genre du portrait qu’il a pratiqué à ses débuts.

Le parcours s’adapte intelligemment à la configuration des espaces d’exposition. Ainsi, après la salle d’introduction ne présentant que deux huiles, la seconde, guère plus grande, fait office de prologue consacré aux relations avec Monet. La dernière salle, difficile à exploiter, accueille le thème « Le Havre, la ville de la désillusion », une évocation des relations complexes que Boudin a entretenues avec la ville qui l’a aidé à ses débuts et méprisé ensuite (bien que quelques-uns de ses grands collectionneurs y aient vécu). Le Havre qui, par une pirouette du destin, conserve aujourd’hui le deuxième fonds public de son œuvre. Les visiteurs que ces vicissitudes interpelleront pourront en lire le compte rendu détaillé dans un catalogue qui, fait devenu rare, commente largement les œuvres et publie leur pedigree.
Ce travail est un investissement pour l’avenir puisque l’exposition est une sorte de galop d’essai, une étape dans une aventure qui va se poursuivre en Suisse. Sur les 101 œuvres accrochées, 80, de très grande qualité, appartiennent au collectionneur Yann Guyonvarc’h, présenté au public par un court texte en début de parcours et un entretien ouvrant le catalogue. Il y a une vingtaine d’années, cet entrepreneur franco-suisse né en 1973 a acheté sur un coup de foudre La Plage de Deauville, 5 octobre 1893, qui lui rappelait ses vacances d’enfant en Normandie. Fils d’un peintre amateur qui copiait des Marquet, il n’était pourtant pas féru d’histoire de l’art. C’est sa passion pour Boudin qui l’a amené à s’y intéresser et à acquérir 200 œuvres de ce peintre – la plus grande collection privée au monde, selon Laurent Manœuvre – et une centaine de la main de contemporains : Jongkind, Berthe Morisot, Alfred Sisley, Henry Moret, par exemple.
Cette collection n’a jamais été exposée. Mais désormais, Yann Guyonvarc’h travaille à un projet de musée (lire l’encadré ci-dessous) et continue à pister les tableaux importants qui apparaissent sur le marché, tel Réunion sur la plage (1866), l’une des trois grandes scènes de plage connues et la seule en mains privées, acheté aux États-Unis en juillet 2024. À temps pour être intégré à l’exposition.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°655 du 9 mai 2025, avec le titre suivant : Une collection Eugène Boudin sort de l’ombre