Art non occidental

Une Afrique haute en couleur

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 24 novembre 2020 - 904 mots

LYON

On a effacé les pigments, retiré les vêtements qui habillaient les statues, méprisé les objets aux couleurs vives peints au XXe siècle, pour ne regarder que les formes sculpturales des arts africains. Le Musée des confluences réhabilite leurs couleurs.

Noir et blanc, comme cette photographie de Man Ray où l’ovale du visage de nacre de Kiki de Montparnasse fait écho à celui d’un masque baoulé sombre. L’image ouvre l’exposition « Une Afrique en couleurs » du Musée des confluences, à Lyon. Son propos : de celle-ci : révéler la place de la couleur dans les arts d’Afrique, occultée depuis le début du XXe siècle par la fascination des artistes d’avant-garde pour les qualités formelles et sculpturales des objets africains qu’ils ont aimés et collectionnés. Leur regard a formé le nôtre. « Le type de masque que l’on voit sur la photographie de Man Ray est en réalité riche en couleurs, mais son rouge mordoré sous-jacent disparaît dans un cliché noir et blanc », explique Manuel Valentin, historien des arts de l’Afrique au Musée des confluences et commissaire de l’exposition. Pour répondre au goût occidental, les pigments colorés ont parfois été effacés des objets, et les textiles qui les accompagnaient et leur donnaient souvent un sens retirés. Or, la couleur constitue un élément essentiel de la pensée esthétique africaine, dont les créations expriment un rapport vivant et plurisensoriel du corps au monde, incluant aussi le mouvement, les sons, les odeurs.

Couleurs et motifs

La polychromie s’observe déjà dans l’art rupestre. Jusqu’à nos jours, elle n’a cessé de s’enrichir de nuances, de significations nouvelles. Dans les productions artistiques rituelles et religieuses traditionnelles, la couleur est d’abord liée aux matériaux : bois, fibres, métaux, fourrures, coquillages… Trois couleurs, le rouge, le blanc et le noir, dominent la gamme chromatique et revêtent des dimensions symboliques qui varient selon les cultures. Avec l’avènement de la peinture industrielle au XXe siècle, la gamme chromatique s’enrichit : statues, masques et autres objets rituels se parent de nuances vives et lumineuses. « La peinture acrylique, stable dans le temps, donne aux objets éclat et vitalité. Les masques festifs et les costumes, comme les marionnettes de rue, produisent l’effet de créatures vivantes et mouvantes. Marlgé tout, ils sont encore souvent méprisés par les collectionneurs qui voient dans leurs couleurs un indice d’acculturation », remarque Manuel Valentin. Pourtant, l’art du perlage, qui utilise des perles importées depuis des siècles d’Égypte, d’Inde ou du Proche-Orient, avant de venir d’Europe, témoigne d’un intérêt ancien pour une large gamme chromatique, en même temps que d’une évolution constante des couleurs et des motifs.

La Sape

De même, si la diversité des textiles africains – qui habillent les hommes et les femmes comme les statues et les masques – se nourrit de savoir-faire anciens, elle s’enrichit au XXe siècle de l’intégration de fibres et de colorants synthétiques. Le vêtement occidental est ainsi revisité et mis en scène, notamment par le mouvement de la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes), qui vise à attirer l’œil avec des costumes aux couleurs vives, et par le wax, tissu venu d’Europe aujourd’hui considéré comme typiquement africain.

Car la couleur a aussi une dimension politique et identitaire. Omniprésente dans les paysages naturels et urbains, elle fait exister les peuples à travers masques et marionnettes de rue, mais aussi à travers des peintures murales ou les drapeaux nationaux. Ainsi, au moment des indépendances des États africains, les pays d’Afrique occidentale adoptèrent les couleurs « panafricaines » (rouge, jaune, vert), inspirées du drapeau de cette Éthiopie qui n’avait jamais accepté la domination coloniale.

Étoffe masculine

Avec un répertoire de plus de 300 motifs, le kente, étoffe traditionnelle constituée de bandes de tissu entrelacées pour former des figures aux couleurs vives, constitue un véritable langage, qui peut être lu et décrypté. Aujourd’hui, les agencements sont simplement décoratifs, comme celui-ci, qui porte le nom de Fathia Nkrumah, l’épouse du premier président du Ghana. Le kente est porté par ceux qui revendiquent une identité africaine, notamment dans la diaspora.


Motif de poulet peint

À partir des années 1950, lorsque l’apartheid se met en place en Afrique du Sud avec la politique des « homelands » (réserves ethniques), rien n’est prévu pour la population des Ndébélés, appelés à disparaître en se diluant dans les autres ethnies. Les femmes décident alors de peindre leurs maisons, en remplaçant les pigments ocreux, utilisés autrefois pour fondre les habitations dans le paysage, par des peintures industrielles très voyantes. Ces peintures éclatantes ont assuré la survie identitaire des Ndébélés.


Coupe à offrir des noix de kola

Dans la représentation des personnes, qui sont généralement des entités spirituelles, les couleurs n’ont pas une vocation mimétique : les carnations inattendues évoquent le monde invisible. Le bleu éclatant de la statuette de cette coupe à offrir des noix de kola est un colorant artificiel, le « bleu de lessive », importé en Afrique dès le milieu du XIXe siècle. Sa luminosité exceptionnelle fut rapidement prisée des artistes, en remplacement des pigments naturels comme l’indigo.


Masque d’initiation

Le rouge est rendu par le tissu. Le blanc, qui a tendance à jaunir, est celui du papier. Quant au noir, il est produit par une résine recouvrant une écorce. Comme en témoigne ce masque qui accompagnait l’initiation des jeunes hommes, les couleurs se construisent traditionnellement avec les matériaux, recherchés pour leur valeur symbolique. Ici, la peau d’un petit animal nocturne, la genette, blanche tachetée de noir, fait écho à la polychromie du masque et symbolise les pouvoirs d’invisibilité de l’esprit incarné.

« Une Afrique en couleurs »,
Musée des confluences, Lyon (69). Du mardi au vendredi de 11 h à 19 h, à partir de 10 h le week-end et jusqu’à 22 h le jeudi. Tarif : 9 €. Commissaires : Maïnig Le Bacquer, Marie Perrier et Manuel Valentin. www.museedes confluences.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°739 du 1 décembre 2020, avec le titre suivant : Une Afrique haute en couleur

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