Art ancien

XVIIE SIÈCLE

Un Poussin plus poète que philosophe ?

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2023 - 891 mots

LYON

Lyon offre une rare exposition sur Nicolas Poussin, avec une proposition forte : rétablir l’importance de la volupté, de l’amour et de la sexualité dans son œuvre. Un contre-pied à l’image d’un peintre essentiellement cérébral.

Nicolas Poussin (1594-1665), Midas devant Bacchus, vers 1624, huile sur toile, Munich, Alte Pinakothek. © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BStGS
Nicolas Poussin (1594-1665), Midas devant Bacchus, vers 1624, 98,5 × 153 cm, huile sur toile, Munich, Alte Pinakothek.
© BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BStGS

Lyon. Une exposition « Poussin » est un événement rare. Une grande rétrospective au Louvre en 1960, deux présentations dans les années 1980 à Édimbourg (Écosse) et au Kimbell Art Museum (Texas), puis les Galeries nationales du Grand Palais en 1994 : les expositions monographiques consacrées à celui qui est souvent considéré comme le plus grand peintre français se comptent sur les doigts d’une main. « Nicolas Poussin (1594-1665) » célébrait de manière exhaustive à Paris les 400 ans de la naissance du peintre, tandis que le Louvre offrait avec « Poussin et Dieu », plus de vingt ans plus tard, en 2015, un éclairage sur sa peinture religieuse. Le parti pris du Musée des beaux-arts de Lyon porte quant à lui sur un point aussi précis qu’inattendu.

Sous l’angle de l’Amour

Car le nom de Poussin est traditionnellement associé par l’histoire de l’art à celui d’un artiste cérébral, grave, pénétré d’un grand sens moral. Soit tout le contraire de l’Amour, thème du parcours proposé par le palais Saint-Pierre. « Amour » est ici un doux euphémisme, tant les œuvres présentées à Lyon révèlent un Poussin versé dans le sujet érotique, les poses lascives étant à peine justifiées par leur contenu mythologique. Contre-pied à la lecture classique de cette œuvre, l’hypothèse d’un Poussin amoureux, voire scabreux, ne relève pas de la provocation, ni du cherry picking, cette mise en avant de quelques exemples frappants pour illustrer un discours général.

La sélection des œuvres révèle un véritable aveuglement entretenu par les critiques, collectionneurs et historiens au fil des siècles, comme le montre l’historiographie des études consacrées au peintre. Difficile de nier en effet le caractère obscène de la Vénus épiée par deux satyres, de la National Gallery de Londres. Poussin semble même s’amuser dans cette toile, comme dans sa première version conservée à Zurich, également présentée à Lyon, d’un contraste entre le propos directement sexuel et la touche douce, l’ambiance bucolique.

Peintre que l’histoire a lié à la raison et à la rectitude de l’art classique français, Nicolas Poussin est présenté comme un artiste-philosophe. À Lyon, l’exposition semble plutôt l’inscrire dans la tradition des peintres-poètes qui, de Michel-Ange à Bronzino, ont fait rentrer dans les intérieurs des puissants une culture poétique en langue vulgaire, le toscan, maniant l’art du sous-entendu et du double sens… érotique. L’amitié du peintre français avec Giambattista Marino atteste de cette proximité avec les évocations charnelles de la poésie plus qu’avec les abstractions de la philosophie. Le poète napolitain, protégé de Marie de Médicis, rencontre Poussin en France et devient l’un de ses premiers commanditaires. C’est aussi lui qui l’introduira au sein de la société romaine lorsque Poussin s’installe dans le Latium, en 1624.

Les tout premiers succès du peintre né aux Andelys en Normandie sont donc redevables à un poète qualifié de libertin de son vivant, mais dont la profondeur philosophique sera louée lors de son passage à la postérité… à l’image même du destin de son protégé.

Le goût pour l’érotisme pourrait aisément se lire comme une première phase de la carrière du jeune peintre, sous l’influence de la figure tutélaire de Marino et des attraits nouveaux de la vie romaine. L’hypothèse avancée par l’exposition du palais Saint-Pierre est plus ambitieuse : elle ne cloisonne pas des débuts licencieux et une maturité plus grave, mais envisage l’amour comme un aiguillon tout au long de la carrière de Poussin, jusqu’à ses derniers jours.

Dans une forme de boucle, le parcours s’ouvre sur les toutes premières œuvres du peintre (dont La Mort de Chioné, toile récemment acquise par le palais Saint-Pierre [voir ill.]) et se referme sur son dernier projet. Chrono-thématique, il peut s’intituler de manière générale « Poussin et l’amour » car, par-delà les jeunes années, y figure l’Apollon amoureux de Daphné (1664),l’ultime toile de Poussin. Resté inachevé, ce tableau à la composition singulière avec son grand vide central est ici présenté comme celui des derniers feux, et une réminiscence des pouvoirs de l’amour, traduisant un regard peut-être plus méditatif sur la question.

Les débuts romains

L’accrochage se concentre toutefois sur les années 1620, soit les débuts romains de Poussin. Dans une forme d’honnêteté, une salle confronte en face à face Acis et Galatée, datant de 1626, et le Pyrame et Thisbé perdus dans un paysage orageux, réalisé en 1651. Le contraste est saisissant entre l’austère paysage ponctué de petites figures et empreint d’une morale chrétienne, et l’entrelacs dynamique de corps nus peint vingt-cinq ans plus tôt. Sans connaissance préalable, difficile d’attribuer ces deux œuvres au même peintre ; mais, tout en exposant clairement cette dichotomie dans l’œuvre de Poussin, le discours ne cherche ni à l’expliquer, ni à la résoudre.

Pour le Musée des beaux-arts de Lyon, il ne s’agit pas de démontrer l’existence de deux Poussin, de morceler l’œuvre de l’artiste, mais plutôt d’ouvrir une nouvelle porte. En s’adressant aussi au grand public, qui, contrairement aux spécialistes, demeure souvent froid devant les toiles du « Raphaël français ». Cet effort se concrétise par une scénographie en courbes, qui guide de manière fluide le visiteur parmi ces toiles à l’attrait sensuel. Le coloris est quant à lui sobre, dans des tons gris : même si on parle d’amour, Poussin reste un sujet sérieux.

Poussin et l’amour,
jusqu’au 5 mars, Musée des beaux-arts, 20, place des Terreaux, 69001 Lyon.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°603 du 20 janvier 2023, avec le titre suivant : Un Poussin plus poète que philosophe ?

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