Histoire de l'art

Un marchand nommé Vollard

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 18 juillet 2007 - 1008 mots

Ambroise Vollard fut l’un des galeristes les plus influents de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Le Musée d’Orsay rend hommage à son instinct fulgurant

PARIS - « Vous avez découvert Cézanne, Renoir, Degas ?… – Vous n’y pensez pas ! En 1876, alors que j’étais un moins de dix ans dans mon île lointaine de La Réunion, M. Chocquet, avec quelques autres, découvrait Cézanne. Et quant à Degas et Renoir, dès avant 1876, les Durand-Ruel, les Mary Cassatt, les Théodore Duret, les Duranty, etc., les avaient mis à l’honneur. – Si, si, reprenait mon interlocuteur. C’est vous qui avez découvert Degas, Cézanne, Renoir. » La modestie d’Ambroise Vollard (1866-1939), qui répond ci-dessus à un journaliste américain, est désarmante. Si, dans les faits, le galeriste n’est effectivement pas le découvreur de Cézanne, Degas ou Renoir, il a d’emblée reconnu le talent des générations d’avant-garde qui ont pris la relève des impressionnistes. Avec « De Cézanne à Picasso. Chefs-d’œuvre de la galerie Vollard », le Musée d’Orsay, à Paris, rend un juste hommage à ce marchand à l’influence décisive pour l’histoire de l’art.
La réussite d’Ambroise Vollard a tout du rêve américain. Fraîchement débarqué de sa Réunion natale en 1887, « sorti de nulle part » comme le décrit la commissaire de l’exposition Anne Roquebert, le jeune étudiant en droit délaisse très vite le Code civil pour intégrer la galerie d’Alphonse Dumas, « L’Union artistique », où il poursuit son apprentissage du commerce artistique. Dès 1890, il se met à son compte en vendant, depuis son deux-pièces mansardé à Montmartre, des estampes de Félicien Rops, Constantin Guys et Théophile Alexandre Steinlein. En s’installant rue Laffitte en 1893, il se frotte aux plus grands marchands de tableaux de Paris – Paul Durand-Ruel, Bernheim-Jeune, Georges Petit… Toutefois, à défaut de pouvoir leur faire de l’ombre, il choisit le créneau de l’avant-garde. C’est donc un autodidacte à l’œil averti qui organise la première exposition monographique de Paul Cézanne en 1895 – une toile du peintre, représentant un bord de rivière, lui avait fait l’effet d’un « coup à l’estomac » quand il l’aperçut dans la vitrine d’un marchand de couleurs, le père Tanguy. Si c’est grâce à sa malice que Vollard obtint quelques esquisses d’Édouard Manet auprès de la veuve du peintre – des dessins dont la présentation en galerie lui bâtit une belle réputation –, c’est l’œuvre de l’artiste aixois qui lui assura un succès commercial durable.
C’est en épluchant les archives de la galerie Vollard, acquises par dation par les musées nationaux en 1989, qu’Ann Dumas, commissaire indépendante, eut l’idée d’un projet d’exposition autour du marchand. Le chapelet de chefs-d’œuvre qu’égrène le parcours ne constitue qu’une faible part des trésors passés entre les mains de Vollard. La diversité des collections rappelle le succès international du galeriste à la clientèle américaine (Harry O. Havemeyer, Gertrude et Leo Stein, Albert C. Barnes…), britannique (Samuel Courtauld), russe (Ivan Morozov, Sergueï Chtchoukine) et allemande (Harry Kessler). Cézanne ouvre le bal avec une vingtaine de tableaux présentés ici, dont le rare Une moderne Olympia, avant que se succèdent les accrochages monographiques consacrés à Van Gogh (somptueuse Arlésienne), Degas (pastels tardifs), Renoir, Gauguin, les nabis avec Émile Bernard (Le Blé noir, 1888) et Maurice Denis (Les Pins à Loctudy, 1894), mais aussi Bonnard, les fauves et enfin Picasso.

Un flair (in)faillible
Le flair de Vollard n’était pourtant pas infaillible. Il admet lui-même ne pas avoir su faire fructifier ses relations avec Matisse ou Picasso, avoir « raté » Modigliani qui ne l’enthousiasmait pas, et être passé à côté du cubisme et du surréalisme, des mouvements jugés sans doute trop intellectuels. Idem pour le pointillisme, dont l’absence saute aux yeux dans l’exposition. Alors que Durand-Ruel présentait les toiles divisionnistes de Seurat et de Signac dès 1886, Vollard s’est contenté de l’acquisition du non moins splendide Poseuses (1886-1888) de Seurat. Preuve qu’il cultivait un véritable goût personnel que le sens du commerce n’a jamais corrompu. Il n’a d’ailleurs que rarement recouru au contrat d’exclusivité, dont Durand-Ruel s’était fait une spécialité, préférant, pour alimenter son stock, l’achat des fonds d’atelier. Malgré d’anecdotiques Souvenirs d’un marchand de tableaux, rédigés à la demande d’un éditeur américain en 1936, ses méthodes de travail restent nimbées de mystère. On y apprend néanmoins qu’il avait réussi à convaincre ses artistes de réaliser des céramiques – dont le visiteur peut voir des exemples signés Derain, Matisse, Vlaminck ou Dufy –, des sculptures, et surtout à redécouvrir l’art de l’estampe. Le travail d’éditeur a manifestement passionné Vollard, qui y a vu l’occasion de faire travailler ses peintres d’une manière unique.

Paroles d’artistes
Vollard plaçait la parole de l’artiste au cœur de ses écrits. Outre ses monographies, son ouvrage En écoutant Cézanne, Degas, Renoir (1921) constitue une mine d’informations inestimable aux yeux des commissaires, qui soulignent le souci de l’auteur de restituer fidèlement les propos de ses interlocuteurs. « Eh bien, […] vous pouvez vous vanter de m’avoir “eu”. Je vous voyais bien griffonner des bouts de papier pendant que je parlais… Mais qui croyez-vous que cela puisse intéresser ? », lui lança Renoir après lecture de sa propre monographie. S’il n’a pas le travers hagiographique d’un Vasari, Vollard exprime, dans ses Souvenirs, son respect pour les artistes, un enthousiasme souvent teinté d’une (fausse ?) naïveté quasi enfantine. Aussi la salle consacrée aux portraits du galeriste est-elle un juste retour des choses. Le marchand y apparaît tour à tour intime ou jovial chez Bonnard, hiératique ou endormi – Vollard aurait souffert de narcolepsie – chez Picasso, massif chez Vallotton, taciturne chez Cézanne… Pour Ann Dumas et Anne Roquebert, c’est à Bonnard que l’on doit le portrait le plus ressemblant. Il y est représenté assis, entouré de toiles, son chat Ambroise sur les genoux. Bonnard a su saisir la sévérité de son regard, décelable dans les portraits photographiques du marchand, mais aussi sa tristesse, trahissant une solitude, qu’il comblait avec l’art.

DE CÉZANNE À PICASSO. CHEFS-D’ŒUVRE DE LA GALERIE VOLLARD,

jusqu’au 16 septembre, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 00, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi 9h30-18h, 9h30-21h45 le jeudi. Catalogue, coéd. Musée d’Orsay/RMN, 352 p., 250 ill., 56 euros, ISBN 978-2-7118-5272-7

DE CÉZANNE À PICASSO

- Commissaires : Anne Roquebert, conservateur au Musée d’Orsay ; Ann Dumas, historienne de l’art indépendante ; Douglas W. Druick et Gloria Groom, The Art Institute of Chicago ; Rebecca A. Rabinow et Gary Tinterow, conservateur, Metropolitan Museum of Art (Met), New York - Nombre d’œuvres : environ 180 (huiles sur toile, suites de lithographies, céramiques, bronze, pastels…) L’exposition a déjà été présentée à l’Art Institute of Chicago, et au Met, New York

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°263 du 6 juillet 2007, avec le titre suivant : Un marchand nommé Vollard

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