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Rencontres d’Arles : le reportage à l’honneur

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2017 - 848 mots

La 48e édition du rendez-vous de la photographie confirme un engouement général pour le genre documentaire dont les scénographies appliquées occupent le haut de l’affiche.

Arles. Agenda présidentiel oblige, le court séjour d’Emmanuel Macron à Arles ne lui aura permis de voir que deux expositions : « The Early Years, 1970-1983 » d’Annie Leibovitz présentée par la Fondation Luma à la Grande Halle du parc des Ateliers et « Looking for Lenin » de Niels Ackermann et Sébastien Gobert, organisée au Cloître Saint-Trophime par les Rencontres d’Arles en partenariat avec la Fotostiftung Schweiz de Winterthur. Deux ou trois heures supplémentaires sur place lui auraient permis de découvrir des travaux photographiques davantage matière à réflexions sur l’actualité en cours, au premier rang desquels l’enquête implacable de Mathieu Asselin sur Monsanto. À l’heure où la Commission européenne doit statuer sur le renouvellement de la licence du glyphosate employé dans les pesticides (dont le Round Up produit par la firme américaine), les impacts de ce désherbant sur la santé et sur l’environnement décortiqués rigoureusement par le photographe arlésien sont sans appel, à l’instar de sa démonstration des liens entretenus au niveau international par Monsanto avec des acteurs politiques et économiques de premier plan. Le livre publié par les éditions Actes Sud, à l’origine de l’exposition, peut faire office toutefois de séance de rattrapage.

Il reste que le récit de Mathieu Asselin est indéniablement l’un des grands temps forts de la programmation de cette 48e édition, particulièrement riche en enquêtes photographiques. Ce qui n’avait pas été le cas depuis quelques années, bien qu’elles aient donné lieu à quelques grands moments lors des éditions précédentes. Pour ne se référer qu’à la période récente, on se souvient en 2015 des paradis fiscaux (« Les paradis ») de Paolo Woods et de Gabriele Galimberti et en 2016 de « La Méthode des lieux » de Stéphanie Solinas, qui retraçait à sa manière l’histoire de la Halle Lustucru, friche industrielle à l’abandon à Arles.

Les Rencontres d’Arles redonnent donc une visibilité à la photographie documentaire contemporaine. Portée désormais par les galeries, la section Découverte se distingue elle-même cette année par une variété d’enquêtes photographiques au long cours. En cela marquante à travers la mise en lumière qu’elle propose de quelques autres situations actuelles préoccupantes. La série « The Parallel State » de Guy Martin documente ainsi de manière percutante l’histoire récente de la Turquie depuis l’accession d’Erdogan au pouvoir, tandis que celle de Carlos Ayesta et Guillaume Bression sur la zone d’exclusion de Fukushima, prix Découverte 2017, retrace subtilement la situation d’un territoire et de sa population depuis le tremblement de terre et le tsunami de mars 2011.
 

Focus sur les catastrophes et les oubliés de l’actualité

De fait, dans cette édition des Rencontres, nombreuses sont les enquêtes photographiques à avoir du souffle dans leur propos sur l’arbitraire, les catastrophes, les scandales et les souffrances de ce monde. « Fifty-Fifty » de Samuel Gratacap sur le sort des migrants en Libye aurait pu aussi s’inscrire dans la tournée des expositions du président de la République, comme l’émouvant album de famille de Mathieu Pernot consacré aux Gorgan, famille de Rom que le photographe a rencontrée lors de ses études à l’École nationale supérieure de la photographie à Arles en 1995 et qu’il a vu grandir. Membre par membre, le destin individuel qu’il reconstitue sur vingt ans et qu’il scénographie magistralement engage par son propos, la justesse des images, des formats et de leurs articulations à une autre exposition particulièrement prégnante de ces Rencontres. « Iran, année 38 » présentée par la galeriste Anahita Ghabaian et la photographe Newsha Tavakolian révèle de son côté des travaux pour la plupart inédits de photographes iraniens réalisés depuis la révolution islamique de 1979, qui racontent leur pays et son évolution depuis trente-huit ans dans des écritures et visions bien loin de celles parfois véhiculées en Occident. À cet égard, la mise en perspective des physionomies des manifestations des rues de 1979 avec celles d’aujourd’hui révèle la troublante et progressive disparition des femmes en leur sein.

La place accordée par Arles à la photographie documentaire relève d’un mouvement de fond. Bien avant les Rencontres, d’autres festivals photo l’ont mise et la mettent régulièrement à l’honneur, tels ImageSingulières à Sète ou dans un autre registre davantage lié à la presse Visa pour l’image, actuellement en cours à Perpignan. Le renouvellement du genre et l’engouement pour ce dernier donnent toutefois lieu à Arles à des scénographies particulièrement travaillées.

Reste à la direction du festival à régler la question des droits d’auteur. Contrairement à de bien plus petits festivals en termes de budget – les Photaumnales, le festival Photo de la Gacilly ou ImageSingulières, par exemple – les Rencontres d’Arles ne s’acquittent d’aucun versement (ce qui n’a rien d’illégal).

En attendant qu’une réponse soit donnée à cette question, le nombre d’expositions visitées par le public pendant son séjour à Arles (dix sur trois à quatre jours en moyenne selon l’étude réalisée par la Ville) fait montre d’un intérêt croissant pour la manifestation qui, cet été, a réservé dans d’autres registres plusieurs accrochages enthousiasmants, comme la rétrospective inédite de Masahisa Fukase et l’exposition Jean Dubuffet et la photographie.

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°484 du 8 septembre 2017, avec le titre suivant : Rencontres d’Arles : le reportage à l’honneur

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