Société

URBANISME

Populaire ou ouvrier, le logement raconte son histoire

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2022 - 981 mots

À Aubervilliers et à Bruay-la-Buissière, deux expositions explorent l’histoire du logement social et ouvrier grâce aux témoignages des habitants.

Bruay, route de Béthune, carte postale vers 1910. © DR
Bruay, route de Béthune, carte postale vers 1910.
© DR

Aubervilliers et Bruay-la-Buissière (Pas-de-Calais). Jacques Croisille, Coumba Soukouna, Denise Lesieux, Madame Perry… le temps de deux expositions, ces anonymes deviennent les protagonistes de l’histoire du logement. « La vie HLM » à Aubervilliers – préfiguration d’un musée du logement populaire porté par l’Amulop, une association de chercheurs en histoire – et « Une cité à taille humaine » – exposition proposée par la cité des Électriciens de Bruay-la-Buissière – prennent le parti pris d’une démarche micro-historique pour mettre en scène les grandes évolutions du logement social, dans la banlieue parisienne, et du logement ouvrier, dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.

Visite « in situ »

Cité Émile-Dubois, métro Fort d’Aubervilliers : dans ce grand ensemble construit en 1956, deux logements mis à disposition par l’Office HLM de la ville peuvent être visités depuis le mois d’octobre. À rebours du modèle de « l’appartement témoin », ce n’est pas la visite d’un logement type qui est proposé par l’Amulop, mais celle du lieu de vie d’une famille bien réelle. Porte 176, on pénètre dans l’intérieur de la famille Croisille, un petit matin de 1967 : on y découvre le quotidien d’une famille ouvrière, qui a quitté un logement insalubre pour ce F3 tout neuf de 51 m2. Le second appartement de l’exposition « La vie HLM » condense l’histoire de trois familles, les Marie, les Di Meo et les Soukouna, qui chacune raconte une étape de la vie de la cité : sa construction, le choc de la désindustrialisation, etc.

L'appartement de la famille Di Meo en 1968, visitable dans l'exposition "La Vie HLM" conçue par l'AMuLoP. © AMuLoP
L'appartement de la famille Di Meo en 1968, visitable dans l'exposition "La Vie HLM" conçue par l'AMuLoP.
© AMuLoP

Près de Béthune, la cité des Électriciens de Bruay-la-Buissière accueille depuis 2019 un centre d’interprétation sur l’habitat minier. L’important travail sur l’histoire de l’architecture menée pour la restauration de ce coron, un des tout premiers du bassin minier, se double d’une recherche sur les habitants et fait l’objet d’une restitution dans l’exposition « Une cité à taille humaine ». Un travail d’enquête visible jusque dans la scénographie du parcours qui invite le visiteur à fouiller dans des boîtes d’archives, pour découvrir les souvenirs et les photographies des anciens habitants.

Pour l’heure, 2 000 noms d’anciens habitants du coron ont été retrouvés, de 1861 à 2013. « Notre base, ce sont les recensements, puis on cherche dans les archives publiques les actes de mariage, de décès, et au-delà de l’état civil, on élargit aux fiches de Ménages, fiches Étrangers, des archives de la compagnie minière », détaille Anthony Martin, commissaire de l’exposition. Ce travail minutieux a aussi été le socle de l’exposition « La vie HLM ». Pour retracer le parcours des bénéficiaires de ces logements sociaux, ce sont ici des archives récentes et peu exploitées, comme celle de l’Office HLM d’Aubervilliers, qui ont été patiemment épluchées : l’Amulop a ainsi pu retrouver 350 foyers.

La perception de ces logements écornée avec le temps

À Aubervilliers, la visite, guidée par un médiateur, met en avant le travail des historiens qui ont trouvé dans les archives suffisamment de documents pour reconstituer le parcours des quatre familles. Dans le salon de la famille Marie, la lecture d’une lettre du père qui sollicitait un logement auprès du maire d’Aubervilliers nous fait sentir l’espoir que ces cités, aujourd’hui décaties, ont suscité pour une partie de la population française mal logée.

C’est là le premier bénéfice de cette démarche : battre en brèche une vision monolithique de ces logements qui ont été perçus différemment au fil du temps. La cité Émile-Dubois à Aubervilliers était comme « Versailles » pour Jacques Croisille, l’un des tout premiers locataires à la fin des années 1950. Vingt ans plus tard, le désœuvrement causé par le chômage massif ternira l’image de la cité. « Dans cette approche, les ressentis ne sont pas du tout les mêmes, abonde Samuel Bajeux, médiateur du patrimoine à la cité des Électriciens. Après la Seconde Guerre mondiale, on disait que le coron était un ghetto, mais les témoignages des années 1960 parlent, au contraire, d’un lieu agréable, d’un sentiment de solidarité. »

Par ce récit du quotidien, c’est aussi une partie de la population exclue des récits historiques qui prend conscience de son importance. À Aubervilliers, les habitants sont tout à la fois sujets, acteurs et médiateurs de l’exposition ; l’association a recruté trois médiateurs venus des quartiers populaires de la Seine-Saint-Denis pour incarner la mise en récit des recherches. « J’ai replacé l’histoire de ma propre famille, de mes amis, témoigne Houda Taghi, médiatrice de l’exposition pour l’Amulop. Il y a un vrai étonnement quand on se rend compte qu’on laisse des traces de notre passage. »À Bruay-la-Buissière, l’exposition rend également justice aux habitants du coron, vexés par les clichés véhiculés par le film Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon (2008) dont une scène est tournée à la cité des Électriciens. « On vient aussi rétablir quelques vérités, sur la propreté, sur le niveau d’éducation », explique Anthony Martin.

À Bruay-la-Buissière comme à Aubervilliers, on est aussi conscient des limites à fixer pour ne pas basculer dans le voyeurisme, d’autant que la cité des Électriciens comme la cité Émile-Dubois demeurent habitées. « Cela a d’ailleurs été ma première interrogation, se souvient Houda Taghi, ne va-t-on pas proposer une sorte de zoo à visiter ? À mesure que le projet devenait concret, la méfiance des habitants de la cité est tombée. Aujourd’hui, ils viennent avec des photos, certains nous confient des archives. » Tout comme dans le Pas-de-Calais, où les anciens habitants du coron ont fini par alimenter les équipes de la cité des Électriciens en souvenirs et archives personnelles.

Ces deux expositions, restitutions d’un travail au long cours, permettent de solliciter plus facilement des récits et des archives. « Notre ambition, c’est de retracer les trajectoires de toutes les familles du coron, explique Anthony Martin, avec un travail urgent qui est de retrouver les habitants encore en vie. »À Aubervilliers, la collecte de ces récits doit constituer le fonds d’un futur musée du logement populaire, où les habitants seront, là aussi, au cœur du parcours.

La vie HLM,
jusqu’au 30 juin 2022, Cité Émile-Dubois, allée Charles-Grosperrin, 93300 Aubervilliers.
Une cité à taille humaine,
du 5 février au 24 avril 2022, Cité des Électriciens, rue Franklin, 62700 Bruay-la-Buissière.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°580 du 7 janvier 2022, avec le titre suivant : Populaire ou ouvrier, le logement raconte son histoire

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