Entretien

Olga Sviblova : « Nous avons créé le public en Russie »

À l’occasion des 20 ans de la Biennale de la photographie et du Multimedia Art Museum, Moscow

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 15 février 2017 - 686 mots

Olga Sviblova, figure de la scène artistique en Russie, organise depuis 1996 la Biennale de la photographie de Moscou.

Olga Sviblova
Olga Sviblova
Photo Lena Avdeeva

En 1996, Olga Sviblova fondait la Maison de la photographie de Moscou, premier musée en Russie consacré au médium, et organisait la première Biennale de photographie dans le pays, avant de lancer la Biennale de la mode et du style. En 2001, la Maison de la photographie, construite sur le modèle de la Maison européenne de la photographie à Paris, devenait le « Multimedia Art Museum, Moscow » (MAMM) et englobait l’art contemporain et les arts visuels. En 2010, le MAMM intégrait un nouveau bâtiment, vaste et haut atrium de plusieurs niveaux construit à proximité du Musée Pouchkine, du Kremlin et de l’École Rodtchenko, école publique de photographie et du multimédia créée en 2006, toujours sous l’impulsion d’Olga Sviblova.

Qu’est-ce qui a changé en vingt ans pour la photographie en Russie ?
L’essor d’une génération de jeunes très forte au niveau international et la découverte de travaux photographiques magnifiques de l’époque soviétique totalement inconnus, travaux que nous avons fait découvrir au plus large public. En 2016, nous avons ainsi présenté trois photographes majeurs de l’école de Novokuznetsk [en Sibérie orientale], car si l’on connaît Nicolaï Bakharev, personne ne connaît Vladimir Vorobyov ni Vladimir Sokolaev, photographe de génie que je n’ai pas peur de comparer à Henri Cartier-Bresson. Nous leur avons acheté des photographies et faisons circuler l’exposition. Nous pouvons maintenant dire que le public considère la photographie comme un art. Lors de la première Biennale de photographie en 1996, quand nous demandions aux gens ce que ce médium signifiait pour eux, ils parlaient de photos d’identité ou de nu. La photographie est désormais respectée, adorée. Nous avons créé le public. On peut le voir dans le musée [selon les chiffres communiqués par le musée, 65 % des 700 000 visiteurs par an sont âgés entre 18 et 25 ans, NDLR]. Et pas uniquement à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, mais en régions également où nous montons au minimum 35 expositions par an.

Ce succès rencontré par la photo auprès du public facilite-t-il aujourd’hui votre action ?
Absolument pas. Auparavant c’était infernal ; aujourd’hui c’est doublement infernal et compliqué. Je me demande chaque jour comment je vais payer les salaires et trouver l’argent nécessaire pour les expositions à venir [le MAMM et l’École Rodtchenko, financés par la Ville de Moscou, comptent 300 employés au total, NDLR]. Notre budget n’a pas évolué depuis huit ans. Les subventions allouées par la Ville ne couvrent que la moitié de nos budgets de fonctionnement et la programmation, les revenus engendrés par les entrées au musée en assurant environ 20 %. Je ne sais jamais comment je vais financer mes projets. Celui du jubilé n’y échappe pas. Depuis vingt ans nous fonctionnions sur ce mode, y compris pour les acquisitions. Ces deux dernières années nous n’avons pas reçu un kopeck de la municipalité pour l’enrichissement des collections, excepté à l’automne 2016 dans le cadre des 20 ans. Le MAMM doit donc compter sur les donations, le soutien du privé et les ventes de charité que nous organisons. Nous avons été le premier musée en Russie à travailler avec des sponsors. Master Card fait partie de nos partenaires fidèles, Renault le fut aussi un temps. Nous l’avons perdu à cause de la crise en Russie. Il ne faut pas oublier qu’en 2016 nous avons connu une inflation de 16 % et une chute du rouble. Or, lorsqu’on importe une exposition, on paie en devises. Mais le pire est la bureaucratisation qui se développe.

Ces vingt dernières années ont vu la montée d’oligarques russes très actifs sur le marché de l’art. Ne bénéficiez-vous pas de leur soutien ?
Absolument pas. On ne travaille pas avec eux. Mais dans notre conseil d’administration figurent des gens riches.

Vous portez et incarnez la biennale et le musée. Le jour où vous quitterez leur direction, ne craignez-vous pas pour leur avenir ?
C’est un musée d’État, on ne peut le fermer. Je peux partir, la collection et l’équipe resteront. Le MAMM deviendra alors un autre musée. Tout doit se développer. La stabilité, c’est bien si elle est vecteur de développements. Sinon elle devient le marais.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : Olga Sviblova : « Nous avons créé le public en Russie »

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