Art moderne

Nolde, un expressionniste solitaire

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2008 - 995 mots

Desservie par sa scénographie, la rétrospective parisienne consacrée au peintre montre un artiste fidèle à son engagement esthétique malgré son adhésion au parti national-socialiste.

Après l’exposition du Musée des Sables-d’Olonne, au printemps dernier, qui se concentrait sur ses années 1939-1945 (lire le JdA n°284, 20 juin 2008, p. 8), Emil Nolde (1867-1956) fait l’objet d’une première rétrospective française aux Galeries nationales du Grand Palais à Paris. Pour rendre hommage à cet artiste, figure solitaire de l’expressionnisme allemand, l’institution parisienne a sollicité la Nolde Stiftung Seebüll, fondation basée à Neukirchen, en Allemagne, où le peintre avait élu demeure en 1926, qui conserve l’essentiel de son œuvre et dont la réputation est d’être particulièrement dure en affaire. Pour la première fois, elle a accepté de prêter le polyptyque de La Vie du Christ (1911 à 1912), œuvre essentielle de Nolde, réalisée dans le cadre d’un cycle de tableaux religieux qui démarre en 1909 avec La Cène et La Pentecôte. Dans ces tableaux, Nolde abolit toute illusion de perspective pour placer le spectateur face à la scène. Par un « rapprochement frontal des figures », il transmet « l’intensité de sa vision intérieure » et « gagne en expressivité », explique dans le catalogue Angela Lampe, conservatrice au Musée national d’art moderne – Centre Pompidou. En témoigne particulièrement L’Incrédulité de Saint Thomas, dernier panneau réalisé pour La Vie du Christ, dont les protagonistes se résument à des aplats de couleurs vives. Pour Angela Lampe : « voilà, très précisément, ce qui caractérise la peinture de Nolde : une acuité visuelle maximale ». Mais avant de pouvoir apprécier les tableaux expressionnistes, le visiteur du Grand Palais devra passer par les années d’apprentissage de Nolde, grand admirateur de Van Gogh ou Matisse, qu’il pastiche sans en avoir le talent. Originaire d’un petit village isolé près de Tondern, dans le Schleswig-Holstein, en Allemagne, à la frontière germano-danoise, Emil Nolde, de son vrai nom Emil Hansen, a d’abord été sculpteur sur bois et enseignant avant de se consacrer à la peinture. Appelé par les artistes de Die Brücke à Dresde en 1906, il rejoint le groupe pour s’en retirer l’année suivante. En 1908, il devient membre de la Sécession berlinoise, où il entre très vite en conflit avec son président, Liebermann, après le rejet de ses tableaux (dont Pentecôte) par le jury. Il est exclu de la Sécession en décembre 1910. Dès 1909, il projetait de créer une nouvelle association d’artistes, « Les Contemporains », autour de la jeune génération et avec la collaboration de Munch. Mais ce dernier ne prend même pas la peine de lui répondre et le projet restera sans  suite. Réunissant une vingtaine d’artistes rejetés par la Sécession berlinoise, la première exposition de la « nouvelle Sécession » se fera sans Nolde, même s’il participera aux suivantes, en 1910 et 1911. À cette époque, il réalise des tableaux sur la vie nocturne berlinoise, immortalisant les cafés de nuit, théâtres et cabarets, où s’expriment à la fois son dégoût et sa fascination pour la ville décadente. De son voyage en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en 1913-1914, dans le cadre d’une étude démographique et médicale initiée par l’office colonial du Reich, il revient avec nombre de portraits et paysages témoignant de son intérêt pour les arts primitifs. Tombé en disgrâce en 1933 malgré son adhésion au national-socialisme, il se voit confisqué par les nazis la majorité de ses œuvres en 1937, dont une vingtaine sera présentée à l’exposition « Art dégénéré » de Munich. Il lui est officiellement interdit de peindre en 1941. C’est l’époque des Ungemalte Bilde, littéralement images non peintes, des aquarelles réalisées dans le secret de son atelier.

Une vision orientée
A priori chronologique, la visite du Grand Palais s’organise autour de grandes thématiques dont certaines sont particulièrement discutables. Ainsi de la partie intitulée « années de combat » où les cartels – qu’il faut s’empresser d’oublier au profit du catalogue – expliquent que Nolde « défie Liebermann » pour sortir victorieux de ce combat, une vision légèrement orientée d’un conflit d’abord personnel qui servira à Nolde de tremplin pour ses écrits antisémites. Fourre-tout, la dernière salle réunit les paysages maritimes au prétexte qu’ils lui permettent « d’exprimer ses émotions », argument pour le moins brumeux. On y trouve aussi bien des paysages maritimes de 1910 que de 1930, de quoi perdre totalement le fil de la rétrospective. Plus grave encore, visiblement complexé par l’attitude ambiguë de Nolde sous Hitler, le parcours ignore une partie de l’histoire. Son « patriotisme allemand, souvent exprimé » n’est, nous dit-on, que le « corollaire de son attachement » à sa terre. S’il est sans cesse rappelé qu’une vingtaine de ses peintures ont été présentées lors de l’exposition d’« Art dégénéré », ses pamphlets antisémites sont, eux, passés sous silence. Avant de chercher à excuser l’artiste, il aurait été plus honnête d’en présenter toutes les facettes. À ce sujet, il faut lire l’essai dans le catalogue de Peter Vergo qui, au-delà de l’image de l’antisémite violent ou de l’artiste politiquement naïf, tente de démêler l’adhésion de Nolde à l’idéologie nationale-socialiste en analysant ses écrits. Que dire enfin de la scénographie, calamiteuse, censée évoquer, au rez-de-chaussée, une promenade dans le Schleswig-Holstein (Allemagne), et, au premier étage, son atelier. Ce dernier espace écrase les œuvres, empêchant de les appréhender sereinement. Les délicates « images non peintes » sont, quant à elles, à peine visibles… L’exposition a-t-elle été montée en catastrophe ? Nolde a-t-il sa place dans les espaces du Grand Palais ? Des questions que l’on peut légitimement se poser au vu de ce parcours apparemment bâclé. Pour le Musée Fabre, à Montpellier, où le commissaire Sylvain Amic est conservateur en chef, Michel Hilaire, son directeur, promet une scénographie radicalement différente. Les espaces d’exposition temporaires plus modestes et plus malléables du musée montpelliérain seront, à n’en pas douter, mieux adaptés à cette rétrospective.

Emil Nolde

- Commissaires : Sylvain Amic, conservateur en chef, Musée Fabre, Montpellier
- Scénographe : Yves Kneusé
- Nombre d’œuvres : 162

EMIL NOLDE (1867-1956), jusqu’au 19 janvier 2009, Galeries nationales du Grand Palais, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf mardi 10h-20h, mercredi 10h-22h.

Du 7 février au 24 mai, Musée Fabre de Montpellier, 39, bd Bonne Nouvelle, 34000 Montpellier, tél. 04 67 14 83 00, tlj sauf lundi et jours fériés 10h-18h, mercredi 13h-21h, samedi 11h-18h.

Catalogue, 340 p., 45 euros, ISBN 978-2-7118-5402-8. À lire aussi : Emil Nolde – Lettres (1894-1926), éditions Actes Sud, Arles, 2008, 215 p., 29 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Nolde, un expressionniste solitaire

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