Art moderne

XXE SIÈCLE

Mathurin Méheut, le libre Breton

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 5 août 2022 - 516 mots

PONT-AVEN

Refusant de s’affilier à un mouvement ou un autre, le peintre, illustrateur et décorateur originaire de Lamballe a mis son talent à la fois classique et très personnel au service de la mémoire bretonne.

Pont-Aven (Finistère). Alors que le musée qui lui est consacré à Lamballe-Armor (Côtes-d’Armor) rouvre ses portes dans un nouveau cadre, le Musée de Pont-Aven présente plus d’une centaine d’œuvres de Mathurin Méheut (1882-1958) sur le thème de la Bretagne. Les visiteurs sont d’ailleurs encouragés à se rendre dans les deux lieux à la faveur d’un tarif préférentiel. Si les expositions récentes consacrées à l’artiste ont insisté sur l’inspiration qu’il a trouvée hors de sa terre natale, c’est bien sur cette dernière que les commissaires, Denis-Michel Boëll et Sophie Kervran, se sont concentrés en sélectionnant des œuvres souvent détenues dans des collections particulières et inconnues du public.

Un regard d’ethnographe

Auprès des non-initiés, le peintre pourrait passer pour un producteur de « biniouseries », selon le mot employé par le groupe d’artistes bretons Ar Seiz Breur (1923-1948) qui qualifiait ainsi les œuvres destinées aux amateurs d’exotisme et de folklore de pacotille. Au contraire, et d’ailleurs très connu et respecté dans les cinq départements de la Bretagne historique pour cela, Méheut se vivait comme un ethnographe et menait ce qu’il appelait des « enquêtes » sur le terrain à chaque fois qu’il devait répondre à une commande, pour illustrer un livre par exemple, et lors des voyages réguliers que, Parisien d’adoption, il effectuait en Bretagne. Dans le catalogue de l’exposition, Denis-Michel Boëll insiste sur sa démarche de témoin du pays de l’enfance qu’il voyait disparaître petit à petit.

Audaces techniques

L’autre malentendu réside dans son art lui-même. Au vu de son talent de coloriste, de ses audaces de composition et de ses choix techniques (la peinture à la caséine, par exemple, qu’il préférait à l’huile), on a voulu l’affilier à tel ou tel mouvement, chercher ses affinités électives. Méheut n’en avait aucune, se montrant d’ailleurs volontiers sarcastique envers les avant-gardes. Comme son père menuisier, il ne théorisait pas, il pratiquait. C’était un classique qui créait d’instinct, avec un métier éblouissant. Celui que Maurice Genevoix qualifiait de « capteur d’images » embarquait sur les sardiniers ou se mêlait aux fidèles des pardons pour peindre les scènes qui subjuguaient le public des expositions de plusieurs centaines d’œuvres où il présentait son travail. Brûleurs de goémon la nuit (sans date), une œuvre inédite, résume sa démarche tout entière : dans une nuit bleue, des Bigoudens, hommes et femmes que l’on reconnaît à leurs costumes colorés, sont éclairés par des flammes qui semblent sortir de terre tandis qu’au-dessus d’eux passe le pinceau d’un phare. Ce fusain, craie grasse et gouache sur papier, à la fois virtuose et très simple, est un arrêt sur image autant qu’un moment d’éternité. À côté de l’auteur, bien connu, de ces témoignages sur la vie des Bretons ou des lettres illustrées adressées à Yvonne Jean-Haffen, il ne faut pas oublier que Méheut était aussi un décorateur très sollicité. Les Femmes pagures ou Femmes bernard-l’hermite (1931) témoignent de cet aspect de son travail, dans une veine symboliste pleine de fantaisie.

Mathurin Méheut, arpenteur de la Bretagne,
jusqu’au 31 décembre, Musée de Pont-Aven, place Julia, 29930 Pont-Aven.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Mathurin Méheut, le libre Breton

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