Architecture

L’ingéniosité de Prouvé : la preuve par douze

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2018 - 903 mots

ARLES

Constructions de loisirs, baraque militaire, maison pouvant être montée dans la journée…, la Fondation Luma Arles déploie douze structures pleines d’esprit conçues par l’architecte et designer.

L'une des unités d'habitation de Jean Prouvé présentées à la fondation Luma, Arles.
L'une des unités d'habitation de Jean Prouvé présentées à la fondation Luma, Arles.
Photo Victor Picon

Arles. C’est une première : la réunion, en un seul et même lieu, le parc des Ateliers à Arles, de douze structures préfabriquées signées Jean Prouvé (1901-1984). Jamais l’on n’avait pu admirer simultanément autant de projets du célèbre concepteur nancéen : c’est l’un des intérêts de cette exposition intitulée « Jean Prouvé, architecte des jours meilleurs » et concoctée, sous la houlette de la Fondation Luma, par deux commissaires, le galeriste Patrick Seguin – l’un des marchands habituels de Prouvé – et Matthieu Humery, directeur du programme des archives vivantes de la Fondation Luma.

Deux tiers des pièces ont été installées à l’intérieur de la Grande Halle, le reste en plein air. Le déploiement est de qualité, chaque projet étant rehaussé par des cimaises et vitrines truffées de maquettes, documents graphiques, photographies et vidéos. La sélection réunit des projets conçus sur une soixantaine d’années, soit de 1939 pour une « baraque militaire », à 1969 pour la station-service Total avec noyau porteur et structure rayonnante, ce qui permet d’observer l’évolution de l’esthétique mais aussi des techniques de fabrication. À travers ces différents systèmes de construction démontables, se lit, en filigrane, le travail méticuleux de Jean Prouvé que Le Corbusier aimait à qualifier de « constructeur », ce qui signifiait pour lui à la fois architecte et ingénieur. La proximité avec les « œuvres » permet au visiteur d’admirer moult détails techniques, et autres « astuces » qui font de l’homme un subtil créateur doublé d’un inventeur de génie.

Reloger les sinistrés de guerre

Formé à la sculpture à l’École des beaux-arts de Nancy, puis à la ferronnerie dans divers ateliers de la région parisienne, Jean Prouvé ouvre, en 1924 à Nancy, son propre atelier de ferronnerie et de serrurerie. Mais c’est en 1937 seulement, avec les dispositions prises par l’État français en faveur des vacances populaires, qu’il se lance dans le marché des petites constructions de loisirs préfabriquées, déplaçables et légères. Deux ans plus tard, la déclaration de guerre oblige Prouvé à interrompre le développement de ses premières propositions « ludiques » et à plancher pour les militaires. Au programme : un abri semi-métallique – ossature métallique + panneaux de façade en bois – pour 4 à 12 personnes, baptisé « Baraque militaire 4 m x 4 m ». L’armée en commande 300 exemplaires. Au premier regard, le « Meccano » semble brut, mais il est suffisamment explicite pour afficher ses principales qualités : la facilité et la rapidité de montage.

Ailleurs, c’est à partir des plans de l’architecte Pierre Jeanneret que Prouvé matérialise la Maison BCC. À l’intérieur, on retrouve l’un de ses principes constructifs majeurs, quasiment une marque de fabrique : le portique axial. On devine aussi la patte du cousin de Le Corbusier, ainsi avec cette serrurerie de fenêtres en bandeau : le détail est succinct, l’effet, grandiose. Bref, Jeanneret dessine et Prouvé s’attache à rendre le dessin possible. Plus tard, ce dernier sera à la manœuvre de bout en bout.

Après la guerre, afin de reloger provisoirement les sinistrés de Lorraine et de Franche-Comté, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme lui commande des maisons démontables de 6 m x 6 m et 6 m x 9 m. On peut en voir ici un exemplaire de chaque. Sans doute les puristes s’étonneront-ils que le Bureau d’études des Ateliers Jean Prouvé de Maxéville (Meurthe-et-Moselle) ait été amputé de son rez-de-chaussée. Il n’empêche : en décortiquant chaque projet, on découvre toute l’ingéniosité de Prouvé. En témoigne l’école provisoire de Villejuif (Val-de-Marne), qui arbore ses étonnants « poteaux aérateurs » rouges, dotés de perforations circulaires et de volets amovibles de manière à pouvoir ventiler l’espace facilement.

Des séries limitées

Malgré l’enthousiasme, à l’époque, d’Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, les commandes ne suivent pas. D’un côté, Prouvé ne parvient pas à amorcer une production en série des modèles qu’il expérimente depuis plusieurs années. De l’autre, les mesures lancées par l’État se révèlent insuffisantes pour enrayer la crise du logement. Ainsi en est-il de la Maison des Jours meilleurs, idéal de l’habitat industrialisé façon Prouvé et preuve de son engagement social, au destin ô combien paradoxal. À la suite d’un hiver particulièrement rude, celui de 1954, et de l’appel de l’abbé Pierre qui s’ensuivit, Prouvé dessine cette cellule de 57 m2 à monter en sept heures, donc habitable le jour même. Vraisemblablement trop révolutionnaire pour l’époque, elle ne sera jamais homologuée. Si bien que les exemplaires produits se comptent au final… sur les doigts d’une main. Celui, ici présenté, appartient d’ailleurs à la présidente de la Fondation Luma, Maja Hoffmann.

Mise au point en 1949, la Maison Métropole, avec son bow-window caractéristique, ne dépassera pas les 25 exemplaires. C’est que le prix de ce « produit de consommation » populaire était supérieur de 40 % au coût d’une construction traditionnelle. L’École de Bouqueval, dont le visiteur pourra apprécier les fines colonnes ainsi que les panneaux de façade percés de hublots, ne sera elle reproduite qu’une fois, à Ventoux, près de Metz.

Cette fatalité de la non-diffusion de masse fait, a contrario, depuis plusieurs années, le bonheur des marchands. Un contresens pour celui qui rêvait de construire en série pour les plus défavorisés.

Jean Prouvé, architecte des jours meilleurs, une sélection de 12 bâtiments de 1939 à 1969,
jusqu’au 1er mai, Luma Arles, Grande Halle, parc des Ateliers, 45, chemin des Minimes, 13200 Arles, www.luma-arles.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : L’ingéniosité de Prouvé : la preuve par douze

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