Galeriste et collectionneur, Patrick Seguin participe activement depuis 1989 à la promotion des créations du designer des années 1950.

Paris. En pleins préparatifs pour la Tefaf de New York – où il a dévoilé deux des portiques axiaux et la poutre faîtière de l’École Croismare (1948) de Jean Prouvé spécialement remontés sur le stand – Patrick Seguin, homme pressé, donne un peu de son précieux temps dans sa galerie près de la Bastille.
Le vaste espace de 300 m2, réarchitecturé par Jean Nouvel en 2003 – les deux hommes se connaissent depuis quarante ans – se distingue par son design épuré et minimaliste. Le lieu a des allures d’usine et ce n’est pas un hasard puisqu’il occupe un ancien bâtiment industriel. « Quand j’ai ouvert la galerie en 1989, le 11e arrondissement n’était pas un quartier connu pour ses galeries. » Mais c’est précisément ce qui a plu à Patrick Seguin : son côté brut, vivant, en dehors des sentiers battus. L’espace, situé rue des Taillandiers, possède une grande verrière, une belle hauteur sous plafond, un escalier en métal – des éléments qui résonnent parfaitement avec l’esprit des designers et architectes français du XXe siècle qu’il défend aujourd’hui :« Je suis attaché à cette idée d’un lieu un peu à part, avec une vraie identité. »
Rien ne destinait Patrick Seguin à devenir l’un des plus grands marchands dans la discipline. Il a grandi dans un environnement rural sans superflu dans le sud de la France – il est né à Montpellier en 1954 – et se décrit lui-même comme ayant un tempérament méridional, chaleureux et direct. Représentant en prêt-à-porter puis gérant du Café de la Plage à Leucate, il ouvre en 1987 Le Distrito, un restaurant café-concert rue Berger à Paris, et rencontre, aux Bains Douches, Laurence, sa femme depuis trente-sept ans. « Nous avons rapidement eu envie de changer de vie et avons ouvert notre galerie en nous associant avec Philippe et Patricia Jousse. » Ensemble, ils ont orienté l’activité de la galerie sur les arts décoratifs des années 50,« dont Jean Prouvé était la pierre angulaire, et l’art contemporain », précise Patrick Seguin. À leur séparation d’avec les Jousse en 1999, les Seguin ont resserré leur activité sur quelques grands noms du design français : Jean Prouvé bien sûr, mais aussi Charlotte Perriand, Pierre Jeanneret, Le Corbusier et Jean Royère.
« On est arrivés au bon moment. » Dans les années 80, le temps n’était plus aux créations des années 50, les administrations réformaient leur mobilier usagé et une poignée de marchands dont lui, François Laffanour, Philippe Jousse ou encore Jacques Lacoste en ont profité, remplissant des camions entiers. S’ils ont longtemps collaboré, ils font désormais bande à part. « On n’est pas copain, mais on n’est pas fâché », lâche l’un d’entre eux, quand un autre connaisseur du marché le dépeint comme « un homme discret, secret même, qui garde ses distances avec le marché parisien ».
Si aujourd’hui la concurrence est rude dans ce marché qu’ils ont exhumé (et écumé) depuis un peu plus de trente ans – les découvertes se font plus rares –, les débuts n’ont pas été faciles non plus. Les collectionneurs boudent. Le coup de génie ? Se rapprocher des confrères de l’art contemporain, comme Ileana Sonnabend et Larry Gagosian, qui lui ouvrent leurs carnets d’adresses, avec des expositions comme « Furniture and Architecture by Jean Prouvé », chez Sonnabend Gallery (New York, 2003) ou « Charlotte Perriand-Jean Prouvé, 20th century architecture and furniture », à la Gagosian Gallery (Los Angeles, 2004). Patrick Seguin renvoie la balle : il a orchestré 12 « Cartes blanches » en invitant des galeries internationales d’art contemporain comme Gagosian, Sadie Coles, Hauser & Wirth, Presenhuber, Luhring Augustin, De Carlo, Kordansky, Karma… à réaliser une exposition dans ses espaces, en leur laissant toute latitude. « Je trouve ces collaborations plus enrichissantes que d’ouvrir une galerie à New York. Elles ouvrent le travail de ces designers français à de nouvelles connexions avec l’art contemporain, rapporte celui qui avait ouvert une galerie à Londres en 2015, à Mayfair. Mais le Brexit ne m’a pas encouragé à prolonger l’expérience. »
Au fil des années, les recherches de Patrick Seguin se sont centrées sur l’œuvre de Jean Prouvé « qui est devenu une passion, une évidence ». Dans les années 90, le marché a beaucoup évolué. Le travail de Prouvé a été reconnu à travers son entrée dans de grandes collections, des publications de référence et des expositions majeures dans des institutions comme le Centre Pompidou ou le MoMA. Patrick Seguin a collaboré à plusieurs expositions, comme au Centre Pompidou, à la Biennale d’architecture de Venise ou au Musée des beaux-arts de Nancy. « Chaque prêt à un musée est une manière de contribuer à l’écriture de l’histoire du design », souligne celui qui a été nommé chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2018 et promu au rang d’officier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2024 – décoration remise par… Jean Nouvel. « Patrick Seguin est précis, être précis c’est ne laisser place à aucune indécision », a déclaré l’architecte à l’occasion.
En parallèle, la galerie a édité une trentaine d’ouvrages.« J’aime les livres, en particulier les livres d’art, que je collectionne. » Le dernier-né ? Paru en avril, il présente la collection personnelle de Patrick et Laurence Seguin, avec des pièces rares et méconnues de Prouvé comme La table Saint-Brévin de 1939. « Avec ce livre, nous avons voulu partager une perspective plus personnelle, nourrie par plus de trente années à collectionner, vivre avec et exposer ses créations. Il explore aussi ce que signifie vraiment “vivre avec une collection” : que ce soit chez nous à Paris ou dans notre maison du sud de la France. »
Le couple, inséparable, partage sa vie entre la capitale et le Var. À Paris, dans le Marais, à deux pas du Musée Picasso, ils y ont leur appartement. « Nous y sommes depuis seize ans, dans un immeuble du XVIIe siècle. » Dans ces lieux historiques, design et art contemporain se mêlent aux cheminées et parquets d’époque. Le couple aime combiner les styles. « C’est cette porosité entre les disciplines qui me passionne. Je suis avant tout un collectionneur. L’art contemporain pose un regard sur notre époque, tout comme le faisaient à leur manière Prouvé, Perriand ou Royère en leur temps. » Prouvé s’était lié d’amitié avec de nombreux artistes, le galeriste possède d’ailleurs le mobile qu’Alexander Calder lui a offert et la gouache que Fernand Léger lui a dédicacée.
En plus de collectionner du design, de l’art contemporain et des livres d’art, le galeriste a rassemblé une impressionnante collection de maisons démontables de Prouvé – ces « baraques » de bois et de métal pensées comme une solution modulaire à la crise du logement post-Seconde Guerre mondiale. Régulièrement, il en dévoile lors d’expositions ou de foires (Tefaf, Design Miami ou Art Basel Paris) : « En 2011, pour Design Miami Basel, une des premières fois où nous montrions ces maisons, nous avions créé une réelle performance en montant et démontant chaque jour sur le stand une maison 6x6 en direct. » Mais l’homme se défend de chercher le spectaculaire, plutôt, « une dimension didactique ».
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Patrick Seguin, trente-cinq ans au service de Prouvé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Patrick Seguin, trente-cinq ans au service de Prouvé






