Art contemporain

À l’IMA, le musée d’art de Palestine prend quelques couleurs

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 8 décembre 2020 - 608 mots

PARIS

L’Institut du monde arabe porte le projet du « musée d’art moderne et contemporain de la Palestine » et accueille pour la troisième fois une partie de sa collection du futur, avec pour ligne directrice la couleur.

Amadaldin Al Tayeb, L’Homme Bleu, 2019, acrylique, pigments indigo et mida mixte, 135 x 300 cm
Amadaldin Al Tayeb, L’Homme Bleu, 2019, acrylique, pigments indigo et mida mixte, 135 x 300 cm.
© Al Tayeb / IMA

Paris. Imaginer un musée national sans lieu fixe pour un territoire aux frontières mouvantes, ne serait-ce pas l’utopie parfaite ? D’autant que la collection du futur musée d’art de la Palestine est hébergée à Paris à l’Institut du monde arabe (IMA), et que le bâtiment censé l’abriter en Palestine n’est toujours pas construit, ce en dépit de dix ans de mobilisation internationale.

Malgré ces obstacles, les initiateurs du projet, l’ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, Elias Sanbar, et l’artiste Ernest Pignon-Ernest continuent d’exposer la collection. Cette nouvelle présentation met l’accent sur la couleur, une idée du commissaire invité Laurent Gaudé. L’écrivain a sélectionné des œuvres où « les vibrations de la couleur sont présentes » pour lutter contre les stéréotypes attachés aux territoires palestiniens, souvent « des images de souffrance ». Sur les cimaises se succèdent des œuvres colorées, celles de Julio Le Parc, d’Henri Cueco ou de Nils-Udo, issues de dons des artistes ou de leurs ayants droit. Ces créateurs ont aussi donné des œuvres récentes, des années 1990 à 2000. Le visiteur croise aussi du noir et blanc, comme les photographies de Martine Franck et d’Henri Cartier-Bresson.

Quel rapport entre les œuvres et la Palestine ? Pour partie, les œuvres reflètent le soutien de leurs auteurs à la cause palestinienne, à l’instar d’Ernest Pignon-Ernest, militant de la première heure : ses silhouettes découpées du poète Mahmoud Darwich ont ainsi longtemps occupé les murs de Ramallah. Mais les œuvres ne parlent pas directement de cette lutte pour l’indépendance, car, comme le rappelle Laurent Gaudé, « il n’est pas nécessaire que les œuvres racontent le conflit israélo-palestinien » au futur public de ce musée, constitué de Palestiniens qui vivent ce conflit au quotidien.

La Palestine est pourtant présente en filigrane dans l’exposition : Taysir Batniji explore ainsi les variations du ciel au-dessus de Gaza, tandis que Bruno Fert et Gilles Delmas, chacun à leur manière, dressent le portrait d’un pays où la terre et les habitants voient leur statut changer constamment. La collection compte d’ailleurs plusieurs œuvres d’artistes originaires des territoires palestiniens (May Murad, Steve Sabella, Samir Salameh) et du Moyen-Orient (Ahmad Kaddour), des artistes forcément concernés par la cause palestinienne. Plus généralement, ce sont les luttes populaires qui servent de fil rouge dans l’accrochage : Commune de Paris avec une planche de BD de Jacques Tardi ; résistance à la dictature chez l’Argentin Antonio Seguí ; émancipation des femmes indigènes dans les photographies d’Anabell Guerrero. Un accrochage spécial met en valeur plusieurs œuvres de Vladimir Velickovic, peintre du corps torturé et d’un « pays qui n’existe plus » (l’ex-Yougoslavie) comme il disait lui-même. L’émancipation individuelle a également sa place ici, dans les œuvres épurées d’Ahmad Kaddour et de Steve Sabella par exemple. Ce dernier, né à Jérusalem en 1975, est présent dans l’exposition qui jouxte et complète la première, conçue à partir de la donation Claude et France Lemand : Sabella y présente un grand photomontage sur la « marche du retour » des Palestiniens en 2019.

Si l’exposition permet de voir une collection en train de se constituer, se pose la question de la réalité du musée, car pour l’instant les expositions se tiennent à Paris. Le musée d’art de Palestine existe certes, mais hors de son pays de rattachement, en exil, et sous une forme purement virtuelle. Elias Sanbar parie sur la construction du musée « à Jérusalem-Est, capitale de l’État souverain de la Palestine », une formulation qui résume l’impasse politique actuelle que seule l’utopie serait en mesure de résoudre.

Couleurs du monde,
Collection du musée d’art moderne et contemporain de la Palestine, initialement jusqu’au 20 décembre, IMA, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°556 du 27 novembre 2020, avec le titre suivant : À l’IMA, le musée d’art de Palestine prend quelques couleurs

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