Art abstrait

Les couleurs de l’abstraction

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2014 - 742 mots

Exemplaire, la rétrospective consacrée au peintre abstrait Serge Poliakoff par le Musée d’art moderne montre les qualités de l’artiste d’origine russe, mais aussi ses limites.

PARIS - On ne pouvait guère mieux faire. La rétrospective de Serge Poliakoff par le Musée d’art moderne couvre toute l’œuvre de l’artiste et suit avec beaucoup de clarté son cheminement. L’accrochage est exemplaire. Quand on lit l’avant-propos du maître des lieux, Fabrice Hergott, on partage sa surprise mais l’explication arrive illico  : « Si le choix de cet artiste peut surprendre, c’est que l’on ne s’était pas encore rendu compte que l’art abstrait avait également besoin de relecture. » Il n’est pourtant pas certain que cette exposition puisse endosser une responsabilité aussi lourde.
Citons encore une fois Hergott, qui ajoute : « dans la mémoire collective, Poliakoff est un peintre à succès des années 1960… l’auteur d’une œuvre séduisante, abstraite et colorée ». En réalité, Poliakoff plaît toujours. Pour preuve, il y a quatre ans à peine, une exposition (certes moins riche que celle-ci) lui était consacrée au Musée Maillol (où ses gouaches sont d’ailleurs exposées en ce moment).

La tentation du décoratif
Déjà en  1946, il avait eu droit à un compliment du grand critique de l’abstraction, Charles Estienne. Ce fervent défenseur des artistes de la deuxième école de Paris se réjouissait du succès rencontré par Poliakoff qui  créait « des toiles aussi agréablement bariolées qu’un tapis de Boukhara ou Samarkande. Et composées cependant  ; excellent exemple de folklore pictural ». Il appréciait aussi « le sujet cerné de façon encore décorative mais très agréablement russe ». Louange mitigée  ? Probablement pas, plutôt un compliment qui révèle les deux facettes du peintre  : la composante décorative de son œuvre et ses origines « exotiques ». Car non seulement l’artiste fut russe avant d’être naturalisé français, mais avant de se lancer dans la peinture, il gagna sa vie en accompagnant à la guitare sa tante à travers toute l’Europe. Bref, une image d’Épinal rêvée. La manifestation récente n’échappe pas à ce travers, accordant une place relativement importante aux documents qui illustrent la vie privée et mondaine de Poliakoff. On préfère de loin les autres pièces, comme ce beau talisman chromatique que fabrique le peintre après avoir découvert les qualités spécifiques de la couleur au contact des Delaunay (Bandes colorées, 1937). Delaunay qui, comme Kandinsky et Otto Freundlich, fait partie de sa « famille artistique ».

Un fabricant de couleurs
Le peintre se donne à l’abstraction à partir de  1938, après son retour de Londres à Paris, rompant avec les paysages ou les scènes de danse russes. C’est, en effet, cette évolution non figurative que suit la manifestation. Mais, peut-être le mot « évolution » n’est-il pas celui qui convient à l’artiste qui semble avoir rapidement trouvé une approche plastique lui permettant de s’exprimer au mieux dans un langage basé essentiellement sur les couleurs qui commandent la composition. De fait, les lignes, les contours sont pratiquement absents chez Poliakoff. Les grandes surfaces agencées, imbriquées les unes dans les autres, sont délimitées par des rencontres clairement déterminées entre les diverses tonalités. Tout laisse à penser qu’il s’agit d’un système combinatoire, d’une synthèse d’éléments formels juxtaposés apportant un caractère architectonique à ses toiles. Une abstraction géométrique alors ? Pas vraiment. Les formes plus ou moins angulaires, parmi lesquelles se glissent parfois des structures arrondies, aboutissent à des configurations qui échappent à la rigidité. De même, ce sont les vibrations que le peintre obtient par la texture « pelucheuse » de ses toiles ou encore les zones de transparences qui contribuent à leur aspect rythmé. Ici, on peut éventuellement admettre les liens souvent suggérés entre sa technique et celle de couches superposées, caractéristiques des icônes.

L’exposition s’achève sur la dernière période de Poliakoff où les travaux perdent de leur charme car leur articulation interne est nettement moins souple, plus sèche. Nous sommes là dans les années  1960 et certains critiques rapprochent ces œuvres du minimalisme. On peut admettre cette comparaison, même si elle ne saute pas aux yeux. Toutefois, quand les recettes minimalistes sont appliquées à l’abstraction singulière de l’artiste russe, le résultat semble contre-nature.

POLIAKOFF, LE RÊVE DES FORMES,

jusqu’au 23 février 2014, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 11, av. du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 4000, www.mnam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi jusqu’à 22h, catalogue éditions Paris Musées, 236 pages, 35 €.

Commissaire : Dominique Gagneux
Scénographie : Clémence Farrell
Nombre d’œuvres : 170

En savoir plus
Lire la notice d'AlloExpo sur l'exposition « Serge Poliakoff : le rêve des formes »

Légende Photo :
Serge Poliakoff, Composition, 1950, huile sur toile, 130 x 97 cm, Museum Würth, Künzelsau. © Photo : Museum Würth, Künzelsau/Philipp Schnborn.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°404 du 3 janvier 2014, avec le titre suivant : Les couleurs de l’abstraction

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