Serge Poliakoff - L’orthodoxie de la beauté

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 19 novembre 2013 - 530 mots

Quelque part en Russie. XIXe siècle. Entre Tourgueniev et Tolstoï. Décor de steppe. Éleveur de chevaux, Georges Poliakoff, avec ses airs d’Attila, enlève la riche Agrippine pour l’épouser et lui donner quatorze enfants.

Moscou. Le siècle a huit jours quand vient au monde Serge, treizième de la dynastie, petit poucet dans un monde moins barbare que peuplé d’êtres inoubliables : Marie, une sœur devenue princesse Galitzine ; Anatoly, un frère érudit qui lui inocule le goût des arts ; Serge Kissilev, ce beau-frère dont la famille inspira à Tchekhov La Cerisaie. Son goût pour la musique et les mathématiques, pour cette science tonale et cette beauté algébrique, celles que trahissent les quarante gouaches aujourd’hui exposées par le Musée Maillol, Serge Poliakoff (1900-1969) le tient de cette période. Une période heurtée qui, à compter de 1917, signe l’exode de la famille et la fuite du beau Serge pour Constantinople, où il gagne sa vie, et quelle vie, en accompagnant à la guitare sa tante Nina partout où elle se produit – Sofia, Belgrade ou Vienne.

Icônes abstraites
À Paris, où il s’établit en 1923, Poliakoff découvre la frénésie des cabarets, les frères de bohème, les académies – de la Grande Chaumière, Colarossi, Frochot –, les maîtres – Cosson, Friesz et Lhote – et l’amour – Marcelle. Son séjour londonien, de 1935 à 1937, le conforte dans ses affinités électives – Giotto, Cézanne et Vélasquez – et lui révèle la peinture égyptienne, celle-là même qu’il ose secrètement gratter sur un sarcophage du British Museum pour en étudier la science enfouie. Ce sera une révélation. Poliakoff, de retour à Paris, voit dans la stratification des couleurs la promesse de la lumière et la vibration de la matière.  Encouragé par Kandinsky, puis par les Delaunay et Freundlich, il élabore une peinture dont l’apparente simplicité masque en réalité une souveraine méticulosité, ainsi que le donne à voir l’exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Désormais abstraites, ses toiles, encore chaudes du souvenir des icônes, réconcilient des couleurs simples, volontiers pauvres, et des motifs modestes, sortes de tesselles ou de tessons. Du reste, cette peinture emprunte à la mosaïque comme au vitrail son orthodoxie et son incomparable sensualité, celles qui composent un délicieux monde flottant que Charles Estienne et Michel Ragon sauront hisser auprès de Malevitch.

Les dix dernières années de sa vie, Poliakoff tombe sa guitare et quitte sa misérable chambre d’hôtel pour des consécrations majeures – une salle à la Biennale de Venise (1962), une monographie par Jean Cassou (1963). Ces succès d’estime n’entameront jamais la modestie de cet iconodule abstrait qui, bien qu’il fumât impitoyablement le cigare et collectionnât les voitures de luxe comme son père les chevaux, sut faire de la simplicité une quête, peut-être même un viatique. Peu avant sa mort, en 1969, il se rendit une dernière fois à Venise puis à Padoue, prier devant Giotto.

Repères :

1900
Naissance à Moscou

1923
Arrivée à Paris

1948
Une première œuvre entre dans une collection publique, celle du Musée de Grenoble

1962
Ses œuvres sont présentées à la Biennale de Venise.
Le peintre est naturalisé français

1969
Décède le 12 octobre à Paris.
Le MNAM lui consacre une grande rétrospective

« Serge Poliakoff. Le rêve des formes »,
jusqu’au 23 février 2014. Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Nocturne le jeudi jusqu’à 22 h. Tarifs : 9 et 7 e. Commissaire : Dominique Gagneux. www.mam.paris.fr

« Serge Poliakoff. Gouaches de 1948 à 1969 »,
jusqu’au 9 février 2014. Musée Maillol. Tarifs : 13 et 11 e. www.museemaillol.com

« Serge Poliakoff 1900-1969 »,
jusqu’au 21 décembre. Galerie Applicat-Prazan, Rive droite. www.applicat-prazan.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°663 du 1 décembre 2013, avec le titre suivant : Serge Poliakoff - L’orthodoxie de la beauté

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque