Art ancien

ARTS DÉCORATIFS

Les chinoiseries de François Boucher

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 20 février 2020 - 854 mots

PARIS

Le Musée des beaux-arts de Besançon enquête sur le goût du peintre pour la Chine et les œuvres qui en portent l’empreinte. L’exposition, riche de prêts exceptionnels, offre de belles découvertes.

Ateliers de la manufacture de Beauvais d’après François Boucher, Le Repas, XVIIIe siècle, tapisserie de basse lisse, laine et soie. © Galerie Deroyan, Paris
Ateliers de la manufacture de Beauvais d’après François Boucher, Le Repas, XVIIIe siècle, tapisserie de basse lisse, laine et soie.
© Galerie Deroyan, Paris

À Besançon (Doubs), le Musée des beaux-arts et d’archéologie conserve une suite de dix esquisses réalisées en 1742 par François Boucher (1703-1770), en vue du tissage par la manufacture nationale de Beauvais d’une série de tentures aux thèmes chinois. Autour de cette « Tenture chinoise », Yohan Rimaud, conservateur au musée, a rassemblé spécialistes (parmi lesquels le Britannique Alastair Laing, commissaire associé), archives et œuvres pour remettre en contexte les esquisses. « Il s’agit en fait d’un sujet très pointu : comprendre pourquoi Boucher est sollicité par Beauvais en 1742 pour les tentures. Et étudier dix ans de la carrière du peintre, entre 1735 et 1745, le moment où il commence à se faire un nom et où précisément il s’intéresse à la Chine », explique Yohan Rimaud.

Ce qui aurait pu être une simple exposition-dossier s’est muée, au fil des découvertes et des liens mis au jour entre artistes, marchands et diplomates, en un parcours riche de 130 œuvres, dont certains prêts exceptionnels. Le corpus réuni dans l’exposition intitulée « Une des provinces du rococo, la chine rêvée de François Boucher » retrace ainsi l’histoire d’un goût, entre les innovations iconographiques de Boucher, son apport aux arts décoratifs du XVIIIe siècle et la gestation de ce qui sera plus tard qualifié de « chinoiserie » par les détracteurs du style.

Sous un palanquin

À l’aide d’une scénographie qui ne manque pas d’audace, de textes de salles clairs et de quelques bornes multimédias, le propos, qui pourrait paraître abscons aux néophytes, se dévoile avec clarté. Sous une structure légère évoquant un palanquin, est exposé le goût des amateurs du début du XVIIIe siècle. Depuis les célèbres ambassades de Siam auprès de Louis XIV dans les années 1680, l’Asie attise la curiosité et les fantasmes des gens de la cour. Récits de voyages, témoignages de jésuites et recueils d’histoire se multiplient sur la Chine, mais la région demeure une terra incognita des expéditions européennes. Malgré tout, un canal commercial s’ouvre entre la France et la Chine, avec l’ouverture en 1685 à Canton d’un comptoir de la Compagnie française des Indes orientales. À Lorient, les navires de la compagnie déchargent des caisses remplies d’objets, de laques, de porcelaines et de papiers peints, et quelques-unes de ces pièces vont faire partie de la collection d’un certain François Boucher.

Sous le palanquin, une cinquantaine d’objets, venus de toute la France, évoquent les quelque 700 objets chinois retrouvés dans la vente après décès de la collection de Boucher, une collection depuis longtemps dispersée mais étudiée en détail dans le catalogue de l’exposition.

Réunion inédite depuis le XVIIIe siècle, la suite complète des six tapisseries de la « Tenture chinoise », venues de France et du Palazzo Reale de Turin, est présentée en regard des esquisses de Besançon. Ce sont en réalité des compositions européanisées à partir de motifs chinois, à l’image de ce que peint Antoine Watteau vers 1710 au château de la Muette pour la famille d’Armenonville. Là encore, une réunion exceptionnelle de deux peintures de Watteau, réapparues en 1996 et 2009 et conservées en collection particulière à New York, illustre le décor à la chinoise exécuté par Watteau pour l’intérieur du château. Un décor gravé vingt ans plus tard par Boucher qui a sans nul doute influencé la manière dont le même transcrit les motifs chinois dans la peinture française, évitant tout effet grotesque.

Moment fort du parcours, une salle intimiste abrite Le Déjeuner (1739, Louvre), La Toilette (1742, Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid), La Gimblette (1745, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe) et Femme sur son lit de repos (1743, The Frick Collection, New York). Soit quatre des plus célèbres scènes galantes de Boucher, où l’Asie joue un rôle omniprésent mais périphérique. Dans ces scènes d’intérieur, la passion de Boucher pour les objets décoratifs vendus par les marchands merciers est évidente. « Toute sa carrière, Boucher reste proche de l’univers de la boutique », résume Yohan Rimaud.

Une provenance retrouvée

Autre hypothèse issue des recherches menées autour de l’exposition : deux dessus-de-porte peints par Boucher en 1742, en mains privées, ont selon toute vraisemblance retrouvé leur provenance. Délicatement exécutés dans un camaïeu en bleu et blanc, ils viendraient du célèbre appartement bleu de la comtesse de Mailly au château de Choisy. Une commode et une encoignure, exposées en regard, viennent parfaire la démonstration.

Une interrogation demeure : pourquoi Boucher, qui continue d’alimenter sa collection d’objets asiatiques, arrête-t-il de peindre des motifs chinois après 1745, alors même que ses saynètes se diffusent avec succès à travers la gravure et envahissent porcelaines, objets d’art, ou marqueteries ? La question reste sans réponse.

Un commentaire du critique Charles de Saint-Yves montre le peu de cas accordé au genre dans sa peinture : « Ceux qui s’intéressent à lui craignent donc que l’étude habituelle du goût chinois, qui paraît être la passion favorite de M. Boucher, n’altère enfin la grâce de ses contours. Ils n’auraient plus la même douceur s’il continuait à dessiner des figures de ce genre. »À Besançon, le goût chinois de Boucher retrouve ses lettres de noblesse.

Une des provinces du rococo, la Chine rêvée de François Boucher,
jusqu’au 2 mars, Musée des beaux-arts et d’archéologie, 1, place de la Révolution, 25000 Besançon.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°539 du 14 février 2020, avec le titre suivant : Les chinoiseries de François Boucher

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