Art moderne

XIXE SIÈCLE

L’Égypte, dernier amour de Rodin

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 6 décembre 2022 - 666 mots

PARIS

À partir de 1890, le sculpteur s’intéresse à l’art égyptien qu’il collectionne. C’est l’ultime source de formes à laquelle il s’est abreuvé.

Eugène Druet (1867-1916), Rodin tenant une statuette égyptienne, vers 1914, épreuve gélatino-argentique © Musée Rodin
Eugène Druet (1867-1916), Rodin tenant une statuette égyptienne, vers 1914, épreuve gélatino-argentique.
© Musée Rodin

Paris. Le musée fondé par Auguste Rodin (1840-1917) pour conserver les œuvres restées en sa possession et ses collections continue son passionnant travail d’analyse du processus créatif de l’artiste. En cette année de célébration du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Jean-François Champollion, une exposition s’appuie sur les travaux menés depuis plus de quinze ans par Nathalie Lienhard et Bénédicte Garnier pour l’étude et la mise en ligne du catalogue des antiquités égyptiennes du Musée Rodin. Bénédicte Garnier, commissaire de l’exposition, a réuni plus de quatre cents objets créés par Rodin ou appartenant à sa collection égyptienne – ces derniers ayant tous été nettoyés et restaurés pour l’occasion.

L’artiste ne s’est réellement intéressé à cet art que vers 1890 et a réuni mille cent vingt-quatre objets égyptiens qui constituent sa collection à partir de 1893. Dans le catalogue, la commissaire cite le maître qui écrivait en 1910 : « Lorsque j’étais jeune, je croyais que ceci était un art barbare : mais regardez cette savante distribution de la lumière et des ombres ! » L’exposition montre comment Rodin, sans le copier, s’est imprégné de cet art pour ses créations que l’on juge souvent aujourd’hui les plus modernes.

Assemblage et hybridation

Il n’a, bien entendu, pas attendu d’acheter des œuvres pour l’observer. Ainsi dessine-t-il un sphinx dans son Étude pour un tombeau de Victor Hugo (vers 1885). Le cartel souligne l’intérêt qu’il portait aux hybridations, ici entre un être humain et un animal. Mais on sait qu’il construisait aussi des œuvres à partir de sculptures ou d’objets sans rapport les uns avec les autres. C’est le cas de La Petite Source. Assemblage : Nu féminin sans bras agenouillé sur une coupe égyptienne (1895-1910, voir ill.) ou d’Assemblage : Nu féminin bras croisés, sans tête, dans une jarre (1895-1910).

Les assemblages de formes pratiqués par les Égyptiens eux-mêmes ont également stimulé sa créativité tels ceux des vases canopes à tête humaine ou animale, dont il possédait des exemplaires, ainsi que les statues cubes. Celle d’Imenemipet (troisième période intermédiaire, 1069-656 avant notre ère), provenant du Musée du Louvre, est mise en parallèle avec La Pensée (1893-1895). Plus loin, on voit que c’est la monumentalité des sculptures égyptiennes rongées par le temps qui a pu l’inspirer : de son Balzac (1891-1897), il disait qu’il était « le Sphinx de la France ». Et aussi : « On n’a pas voulu voir mon désir de monter cette statue comme un Memnon, comme un colosse égyptien. »

Des découvertes récentes

Ce collectionneur de fragments voyait certainement dans ceux qu’il recevait d’Égypte un potentiel de liberté créatrice. Le rapprochement d’Étude pour Iris, torse (1895) avec la petite terre cuite Déesse Baubo (époque ptolémaïque romaine, 332 avant notre ère - 395 après) est éloquent à cet égard. Les attitudes observées dans la peinture ou la statuaire égyptiennes se retrouvent d’ailleurs dans nombre de ses créations. Ainsi, l’Homme debout (Moyen Empire, 2033-1650 avant notre ère) d’une vitrine fait écho à L’Homme qui marche (vers 1899) présenté en fin de parcours.

Le nombre d’artefacts égyptiens acquis par Rodin est une découverte : la plupart étaient cachés dans les réserves. Des connexions avec le travail de l’artiste deviennent évidentes, comme d’autres le sont depuis plus longtemps avec l’art grec ou l’art khmer. La richesse de l’exposition pousse à des allers-retours entre tel fragment aperçu dans une salle et tel dessin ou sculpture qui pourrait en découler. Elle révèle aussi la prégnance de l’égyptomanie à cette époque, que l’on connaissait par l’opéra Aïda de Giuseppe Verdi (1871) ou le spectacle Rêve d’Égypte de Colette (1907), qui a donné son titre à la manifestation, moins par le travail qu’effectuaient les marchands qui accompagnaient ce goût auprès des collectionneurs. Rodin, après avoir acheté des objets à Paris, a ensuite été en rapport avec des antiquaires et marchands installés en Égypte. Des panneaux sont consacrés à ces personnages romanesques qui pouvaient parfois se révéler faussaires…

Rêve d’Égypte,
jusqu’au 5 mars 2023, Musée Rodin, 77, rue de Varenne, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : L’Égypte, dernier amour de Rodin

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