Art contemporain

Le printemps en Hyber

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2023 - 747 mots

PARIS

L’artiste a transformé en une sorte d’école la Fondation Cartier pour l’art contemporain, qui propose une rétrospective de son œuvre peinte. Celle-ci invite à une réflexion sur le paysage d’un point de vue esthétique et écologique.

Paris. C’est à la suite de « Nous les Arbres », présentée en 2019-2020 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, exposition à laquelle il avait pris part, que Fabrice Hyber a accepté l’invitation d’Hervé Chandès, le directeur général des lieux, de montrer une importante sélection de ses tableaux, des plus récents aux plus anciens. Il est vrai que la production picturale de l’artiste (Lion d’or à la 47e Biennale de Venise en 1997) a été moins vue au cours de sa carrière que ses installations. En 2015, le Crac (Centre régional d’art contemporain), à Sète (Hérault), lui avait pourtant consacré une monographie centrée sur ce médium : l’alignement de centaines de toiles accrochées dans un ordre chronologique avait constitué une proposition dense, assez extrême, signalant déjà le fait que Fabrice Hyber n’est pas très à l’aise avec la notion d’exposition de peintures – par crainte que le résultat ne soit ennuyeux.

Pour l’exposition que lui consacre la Fondation Cartier, il a donc imaginé un concept en forme de projet pédagogique. Outre les tables et chaises d’écolier qui jouent à convertir les espaces en décor de salles de classe, il a conçu un programme de podcasts à télécharger (dans lesquels interviennent des invités comme la romancière Marie Darrieussecq, le philosophe Emanuele Coccia, le spécialiste de la transition écologique Matthieu Auzanneau…) et de « cours » assurés chaque jour par des médiateurs. Ce parti pris permet aussi, explique-t-il, de multiplier les thèmes abordés : le sport, la nourriture, la pollution plastique, les neurosciences, la sexualité, le vivant… Les mondes parallèles et les sujets d’intérêt de Fabrice Hyber pourraient, comme le suggère une de ses œuvres, se ranger en neuf dimensions (9 DIM, 2012) communiquant entre elles par de larges orifices. Du registre climatique aux considérations botaniques, jusqu’aux fantasmagories érotiques : dans Je sais no 5, fresque aux allures de joyeux Kamasutra, les personnages s’enfilent, s’empilent, s’imbriquent…, inventent des formes de vie.

Une pensée en rhizome

Lui-même affirme avoir toujours considéré ses tableaux comme des démonstrations. « Lorsque je dessine, j’apprends », dit-il, car le fait d’entreprendre une œuvre est une manière d’appréhender le monde, d’en décortiquer la complexité et d’élaborer des réponses. Sa peinture, rapide, procède toujours du même rituel. « Je commence par un signe, un dessin, une question que je pose sur la toile. Je ne fais pas un seul tableau à la fois mais plusieurs, tous disposés dans mon atelier, et je circule de l’un à l’autre en imaginant les différentes solutions possibles. » Postulat, hypothèses, déductions…, la dimension didactique de ce va-et-vient entre l’image et les mots griffonnés est sans doute en partie liée à la formation scientifique de l’artiste, d’abord attiré par les mathématiques. Reste que, « à un moment donné, toutes ces recherches donnent un paysage ». C’est la part mystérieuse de cette peinture, irréductible à des équations bien qu’elle comporte des constantes : l’économie de matière afin de privilégier la clarté, le trait dessiné au fusain, l’absence de repentirs sur la toile, les couleurs détrempées. « Mes peintures à l’huile sont toutes des aquarelles », relève-t-il. Les teintes diluées continuent à y couler en longues traînées, évoquant le ruissellement de l’eau, la propagation fluide des idées en ruisseaux, en rhizomes. Le « vert Hyber » est omniprésent dans ses tableaux les plus récents, dont il vient souligner la vitalité, tandis que leurs compositions se déploient volontiers sur de grands formats. Voire à des échelles monumentales, « maximales » selon sa propre formule, tels les immenses panneaux de ses paysages biographiques (La Serrie, paysage biographique de mes parents, 2022) courant sur 7 mètres de long. Ce sont des tableaux à arpenter, des œuvres conçues comme des performances.

Ce qu’ils donnent à voir, c’est un paysage que Fabrice Hyber suggère de regarder autrement, pour l’investir par l’imaginaire. Saturé d’informations, chargé, celui-ci ne peut plus en effet s’envisager d’un point de vue innocent ou romantique, et c’est à une rêverie active qu’il invite. Ces panoramas en construction, en chantier, renvoient, comme le titre de l’exposition, « La Vallée », à l’œuvre grandeur nature de cet artiste semeur qui, en Vendée où il a planté depuis les années 1990 des centaines de milliers de graines, a créé une forêt, métaphore de la pensée. L’un nourrissant l’autre, ce paysage ensemencé est la toile de fond de sa peinture, ce qui lui confère une profondeur et une nécessité absolue.

Fabrice Hyber, La Vallée,
jusqu’au 30 avril, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail, 75014 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°603 du 20 janvier 2023, avec le titre suivant : Le printemps en Hyber

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