Art moderne

XIXe - Doré, héros de la démesure

Le Musée d’Orsay repeint en Doré

Personnage fantasque et artiste surdoué, Gustave Doré fait l’objet d’une rétrospective raisonnée à Orsay

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2014 - 716 mots

Artiste pluridisciplinaire aussi fantasque que méconnu du grand public, Gustave Doré hante aujourd’hui encore l’imaginaire collectif. La belle rétrospective que lui consacre le Musée d’Orsay, à Paris, décline l’étendue de son talent : imagination débordante au profit d’univers fantasmagoriques, fine approche journalistique de la vie quotidienne au XIXe siècle.

PARIS - Le grand écart, Gustave Doré connaît. En tant que gymnaste accompli, en tant que maniaco-dépressif, mais aussi et surtout en tant qu’artiste. Des fresques bibliques de taille monumentale aux fines illustrations gravées de Rabelais ou de Victor Hugo, des personnages caricaturés aux paysages spectaculaires, du témoignage de l’âpre quotidien à la fantasmagorie, Gustave Doré (1832-1883) passe d’un extrême à l’autre avec une aisance aussi arrogante que déconcertante. Faut-il y voir la conséquence d’un tempérament cyclothymique, alternance de périodes d’euphorie et de mélancolie ?

Strasbourgeois d’origine, cet autodidacte touche-à-tout est tombé dans l’illustration et la soif du spectacle quand il était petit. Engagé à l’âge de 15 ans par Charles Philipon au Journal pour rire, glorifié au-delà du raisonnable par sa mère, responsable de la survie financière de sa famille, comment reprocher à cet esprit hypersensible son panache et sa démesure ? Au Musée d’Orsay, le commissaire Philippe Kaenel, professeur d’histoire de l’art à l’université de Lausanne et spécialiste de l’artiste, rend compte avec clarté d’une carrière foisonnante méconnue du grand public, au cours de laquelle se carambolent sans cohérence apparente estampes, dessins, peintures et sculptures.

Source d’inspiration pour le cinéma
De cette rétrospective ressort l’image d’un artiste déterminé. Électron libre sans dieu ni maître, hormis des illustrateurs tels Grandville, Töpffer ou Cham, pour la finesse de leur regard, Doré est capable de livrer l’image d’un jeune acrobate blessé agonisant dans les bras de sa mère sous les regards inquiets d’une troupe de saltimbanques, comme de peindre, vue du ciel, une grenouille attachée à un cerf-volant sur le point de se faire gober par une cigogne.

Comme tous les marginaux, Doré n’est pas admis dans le cercle des pratiquants du « grand art ». La reconnaissance populaire et internationale ne lui a pourtant pas manqué. Titulaire de contrats bien payés pour l’illustration de chefs-d’œuvre de la littérature comme L’Enfer de Dante, Doré est aussi un homme d’affaires avisé. Cofondateur de la Doré Gallery à Londres, à la fin des années 1860, où son style unique obtient un grand succès, il arpente les bas-fonds de la ville aux côtés d’un journaliste anglais pour les besoins de l’ouvrage London : a Pilgrimage. Là encore, il surprend par la délicatesse avec laquelle il dépeint une pauvresse et ses deux jeunes enfants (Pauvres Londoniens, 1869). La même approche journalistique vaut pour l’illustration de Don Quichotte, qu’il réalise après avoir sillonné l’Espagne. C’est toujours en reporter que Doré s’engage dans la garde nationale durant la guerre franco-prussienne. Ici illustrée par trois tableaux en grisaille, L’Énigme, L’Aigle noir de Prusse et La Défense de Paris, exposés ensemble pour la première fois depuis 1885, sa vision des massacres n’en est que plus poignante.

Ajouts judicieux, plusieurs projections de films soulignent les innombrables emprunts au vocabulaire visuel de Doré. Fait rare, il demeure une source d’inspiration pour les cinéastes, tant pour sa description de la réalité du XIXe siècle que pour sa stylisation d’univers fantasmagoriques. Grâce à un catalogue exemplaire, cette exposition redresse la barre de la programmation du Musée d’Orsay, dominée par des manifestations trop ambitieuses pour pouvoir traiter correctement leur sujet, à l’exemple de « Masculin/Masculin » ou de « L’Ange du bizarre ». Le hasard fait que cette rétrospective de grande ampleur soit la première du musée depuis celle, en 2011, consacrée au strict contemporain de Doré, Édouard Manet. Entre les deux artistes, un grand écart également.

Gustave Doré

Commissaire scientifique : Philippe Kaenel, professeur d’histoire de l’art à l’université de Lausanne

Commissaires : Paul Lang, directeur adjoint et conservateur en chef au Musée des beaux-arts du Canada ; Édouard Papet, conservateur en chef au Musée d’Orsay

Scénographie : Nathalie Crinière, scénographe

Itinérance : Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, 13 juin-14 septembre

GUSTAVE DORÉ (1832-1883), L’IMAGINAIRE AU POUVOIR

Jusqu’au 11 mai, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris
tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi 9h30-18h, 9h30-21h45 le jeudi, fermé le 1er mai
Catalogue, coéd. Musée/Flammarion, disponible également en version anglaise, 336 p., 45 €.

En savoir plus
Lire la notice d'ALLOEXPO sur l'exposition « Gustave Doré : l'imaginaire au pouvoir »

Légendes photos :
Gustave Doré, Entre Ciel et Terre, 1862, huile sur toile, 61 x 51 cm, Musée d’Art et d’Histoire, Belfort. © Musée d’Art et d’Histoire, Belfort/Giraudon/The Bridgeman Art Library.

Gustave Doré, L’Enigme, 1871, huile sur toile, 130 x 195,5 cm, Musée d’Orsay, Paris. © Photo : Musée d’Orsay, Dist.RMN/Patrice Schmidt.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Le Musée d’Orsay repeint en Doré

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