Nostalgie

Le charme ancien de la banlieue

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 17 janvier 2017 - 719 mots

Sur le thème large et imprécis de la banlieue parisienne, l’Atelier Grognard fait découvrir des œuvres de petits maîtres de 1850 à 1950.

RUEIL-MALMAISON - Dès le début de l’exposition « Peindre la banlieue », présentée à l’Atelier Grognard, une phrase du peintre Albert Lebourg (1849-1926) en donne le ton, nostalgique : « Ces beaux endroits, je ne sais ce qu’ils seront plus tard, mais je suis certain qu’ils ne seront jamais plus beaux que je les ai vus. » Véronique Alemany, la commissaire, ne dit pas autre chose lorsqu’elle présente son sujet comme un lieu « qui va s’urbaniser au détriment de la nature et de l’humanité », insistant sur la perception, selon les cas, d’une banlieue verte, noire ou « rouge ». La période étudiée induit naturellement cette vision et Véronique Alemany insiste : « Nous commençons l’exposition par le portrait d’un arbre et nous la terminons par celui d’une usine. » Pas tout à fait cependant, car dans la dernière salle consacrée à « La banlieue des loisirs » on trouve le tableau qui figure sur l’affiche – En barque sur la Marne (vers 1890), du réaliste Hervier de Romande – ainsi que Le Dimanche au bord de la Marne (1958) de Lucien Fontanarosa, une variation en forme de déjeuner sur l’herbe d’Une baignade à Asnières de Seurat.

Sous l’angle de la nostalgie
Au long des sections de l’exposition consacrées à la banlieue rurale, aux visages modernes de la banlieue, aux cours d’eau…, on s’attend à une forte présence des impressionnistes. Mais il devient difficile pour une petite institution de s’en faire prêter et, bien que l’on remarque un Manet (La Maison dans le feuillage, peint en 1882 à Rueil-Malmaison) et des Caillebotte, Monet, Sisley, Morisot, Cézanne, Pissarro et Gauguin, Véronique Alemany s’est tournée vers les musées d’Île-de-France et de Paris pour obtenir des œuvres de moindre importance. « Nous montrons qu’au-delà des grands noms, des petits maîtres se sont intéressés à la banlieue, soit sous un angle documentaire, soit pour leurs recherches artistiques », précise-t-elle. C’est, en effet, un grand atout de « Peindre la banlieue » : le public y découvre beaucoup d’œuvres attachantes, à l’image de La Seine à Nanterre (vers 1880) de Pierre Damoye.

Cependant, si l’exposition est agréable, il en reste le sentiment que son seul angle est la nostalgie, la scénographie n’en montrant pas réellement les enjeux historiques, sociaux et esthétiques que les peintres et illustrateurs ont pu traduire. Les barrières de Paris, la « zone », les rapports inégaux de la banlieue et de la capitale, les choix de l’État (par exemple d’abandonner à elle-même la banlieue « rouge ») n’apparaissent pas clairement.

L’usine, motif moderne
On trouvait déjà, en 1850, des représentations d’usines, mais ce sont des dessins et gravures des anciens faubourgs de Paris, les 13e, 15e ou 18e arrondissements actuels, des illustrations comme la gouache d’Émile Deroy (Vue prise du pont de Neuilly sur Puteaux et le mont Valérien, vers 1870-1880) présentée à l’exposition. Ce qui est notable esthétiquement, c’est donc la nouvelle légitimité du motif. À partir de la fin des années 1870, les artistes ne cachent plus les usines, à Paris ou en banlieue, comme lorsque Gauguin en peint derrière son jardin du 15e arrondissement sous la neige, en 1883. Dans ce sens, la modernité n’est pas une tache dans le paysage mais un élément qui le constitue.
Loin de dégager, comme on pourrait le croire, un motif fédérateur, « Peindre la banlieue » montre surtout des perceptions du monde inconciliables. Dans Aux champs (1885), Zola raconte comment Paul de Kock, Français, Corot et Daubigny firent malgré eux le succès populaire de la banlieue-paysage, qui va finir par devenir, craint-il, « un simple prolongement de nos boulevards, plantés d’arbres maigres », et donc ne plus être un sujet pour les peintres. À cette vision pessimiste répond un tableau de Manet, Claude Monet dans son bateau-atelier (1874). La Seine est bordée d’usines aux hautes cheminées et les bateaux se bousculent sur le plan d’eau, mais le peintre garde toute sa place au centre de ce monde. Le mot banlieue n’a pas le même sens pour l’un et l’autre, et encore moins pour nous.

Peindre la banlieue

Commissaires : Véronique Alemany, conservatrice générale honoraire du patrimoine ; Colette Bal-Parisot, directrice de l’Atelier Grognard
Nombre d’œuvres : 131

Peindre la banlieue, de Corot à Vlaminck 1850-1950

Jusqu’au 10 avril, Atelier Grognard, 6, av. du Château-de-Malmaison, 92500 Rueil-Malmaison, tlj 13h30-18h, 10h-17h le mardi, www.mairie-rueilmalmaison.fr/actualités, tél. 01 47 14 11 63, entrée 6 €. Catalogue, Ville d’Issy-les-Moulineaux/Ville de Rueil-Malmaison, 19 €.

Légende Photo :
Pierre-Emmanuel Damoye, La Seine à Nanterre, vers 1880, huile sur bois, 30x60 cm, Musée du Domaine départemental, Sceaux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : Le charme ancien de la banlieue

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