Art contemporain

A Nîmes et en Italie

L’Arte povera est-il un art pauvre ?

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 16 novembre 2011 - 794 mots

Huit expositions sont consacrées en Italie par différentes institutions à ce mouvement artistique tandis que le Carré d’Art de Nîmes en appelle à un art pauvre. Alors, Arte povera : art de la décroissance ou opulence sensible ?

Rarement un mouvement artistique aura été aussi difficile à circonscrire. En effet, visuellement, que peuvent avoir en commun la tarentule géante, bleue et pelucheuse (Vedova blu) de Pino Pascali, l’Igloo di Giap réalisé également en 1968 en terre et bardé de néons de Mario Merz et la Vénus aux chiffons (1967-1969) plantée par Michelangelo Pistoletto devant une montagne de textiles colorés ?

Se départir des effets pour retrouver l’essentiel de l’art
Si l’adjectif « pauvre » pousse à attendre des œuvres faites de matériaux humbles, voire recyclés, d’un art de l’infime proche de la dissolution, d’un art de la crise monétaire, usé mais digne, il s’agit là des dommages collatéraux que provoque un faux ami comme le terme « pauvre ». « La langue italienne est probablement la seule au monde à accorder une signification positive à l’adjectif “pauvre” en le situant, au-delà de l’économie, dans les domaines de la spiritualité, de la philosophie et de l’esthétique », explique en effet l’historien de l’art Giovanni Lista. Cette nuance est fondamentale pour comprendre l’usage qu’en fait Germano Celant, commissaire de l’exposition qui lança le mouvement en Italie en 1967. Celui-ci était allé emprunter la formule dans le théâtre que Jerzy Grotowski venait de qualifier deux ans auparavant de « pauvre » dans un manifeste retentissant. La « pauvreté » signifiait alors davantage de se départir des effets scénographiques et d’atours pour retrouver l’essentiel de la performance théâtrale et dégager une puissance de jeu. L’expérience s’intensifiait par cet appauvrissement qui n’avait rien d’une perte, bien au contraire.

Celant avait perçu cette caractéristique chez nombre de ses contemporains artistes malgré des différences stylistiques parfois abyssales. Pour Celant, il s’agissait moins d’une idéologie antitechnologique que d’une volonté réductionniste, portant à retrouver l’élémentaire. Dans sa première exposition « Arte Povera e Im-Spazio », Celant formulait une réponse européenne au Minimalisme américain et déjà, dans l’esprit du quidam, « pauvre » était synonyme de « minimal ». Cependant, à la différence des œuvres d’un Carl André ou d’un Donald Judd, les œuvres de Giovanni Anselmo ou de Luciano Fabro affichaient un caractère équivoque et des formes très hétérogènes. Dans ce premier opus à la galerie génoise La Bertesca, l’accent était mis sur l’expérience de l’art dans le cadre d’une réflexion menée sur la nécessité d’une temporalité commune à l’art et la vie.

Plus qu’un mouvement, un genre comme le Land Art
Si l’actuelle exposition du Castello di Rivoli, « Arte Povera International », cornaquée par Germano Celant, confirme la volonté du commissaire de faire, dès ses prémices, de l’Arte Povera le rival européen de l’art américain, voyant dans l’art italien la parfaite synthèse de l’Art minimal, conceptuel et du Land Art, les artistes ne témoignèrent aucune morgue à l’encontre de leurs confrères américains. Ils ne se sont pas inscrits en faux contre ces mouvements (vision trop négative), mais bien plutôt en faveur d’un art qui parviendrait à renouer avec une reconnaissance esthétique plus intuitive et directe, plus démocratique qu’élitiste. On a compris à tort l’Arte Povera comme un art de la nature, mais on y trouve néon, électricité, moteurs réfrigérants, marbre, métaux précieux, verre de Murano. C’est que les artistes « povéristes », comme les qualifie Lista, reconnaissent la valeur de l’artisanat et d’un patrimoine tout italien.

L’Arte Povera est depuis devenu un genre, au même titre que ses alter ego Land Art ou Art conceptuel. D’ailleurs, depuis une exposition consacrée en 2002 à Sydney au mouvement par la précédente équipe du Castello di Rivoli (Ida Gianelli et Carolyn Christov-Bakargiev), il n’était plus question de date de fin du mouvement. Il faut souligner que la plupart des artistes povéristes ont continué de créer bien après les diverses années de fin présumées (situées au gré des ouvrages et expositions entre 1970 et 1979 !). Depuis quelques années, il faut aussi signaler l’intérêt des jeunes artistes pour cet art italien de la sincérité sans artifices. Tel Gyan Panchal, exposé à Nîmes, qui assume parfaitement son admiration productive pour les sculptures tendues de Giovanni Anselmo.

En cette année du 150e anniversaire de l’unification de l’Italie, l’Arte Povera affirme son histoire de mouvement foisonnant, presque hirsute, à mille lieues de l’image réductrice que son patronyme pouvait induire. Son art de l’ascèse est dynamique, volubile, dans le temps du monde qui l’entoure. Fasciné par la nature, mais profondément cultivé, l’Arte Povera trompe son monde depuis plus de quarante ans et la somme publiée par le Castello di Rivoli sous l’égide de Germano Celant (600 pages et quelques kilos) atteste largement que l’Arte Povera, ce n’est pas rien.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : L’Arte Povera est-il un art pauvre ?

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