Du surréalisme à l’Art déco et de l’art africain à la mosaïque byzantine, l’artiste a assimilé maints courants esthétiques pour construire son style et exprimer sa foi.
Hyères (Var). Perchée sur la colline de Costebelle, la chapelle de Notre-Dame de Consolation a été reconstruite entre 1952 et 1955 et ornée de sculptures de Jean Lambert-Rucki (1888-1967). On la devine au loin depuis la terrasse de la tour des Templiers, derrière le dos de L’Annonciation (vers 1938), un grand bronze à patine polychromée [voir ill.]. Pour célébrer le soixante-dixième anniversaire de la chapelle, le galeriste Jacques De Vos, spécialiste des arts du XXe siècle, collectionneur de Lambert-Rucki et éditeur de ses bronzes, présente une exposition d’une cinquantaine d’œuvres essentiellement d’art sacré.
Formé à l’École des beaux-arts de Cracovie (Pologne), sa ville natale, Jan Rucki rejoint son ami Moïse Kisling à Paris en 1911 et plonge dans la trépidante vie artistique de la capitale française. Il partage en 1913 un atelier avec Amedeo Modigliani et expose au Salon des Indépendants, tandis qu’il gagne un peu d’argent en retouchant des photographies et même en jouant la comédie au théâtre de l’Odéon, sous la direction d’André Antoine. L’œuvre la plus ancienne présentée à Hyères est une aquarelle et gouache sur papier, Les Saltimbanques (1918), déjà imprégnée d’un esprit Art déco.
L’artiste s’appelle désormais Jean Lambert-Rucki : Jean Lambert est le nom qu’il a adopté en s’engageant dans la Légion étrangère en 1914. En 1916, à Salonique, il a eu pour mission de restaurer les fresques et mosaïques de l’église Sainte-Sophie. De retour à Paris à la fin de la guerre, il récupère les œuvres qu’il avait confiées à son ami Léopold Survage et, dès 1919, expose au Salon d’automne et aux Indépendants. En 1920, il participe à la première exposition de la Section d’or. Si l’on veut détailler les influences assimilées par l’artiste à la trentaine, il faut énumérer l’art populaire polonais, l’art africain auquel l’a initié Modigliani, l’art byzantin, le cubisme et le surréalisme.
En 1923 débute une collaboration avec le laqueur Jean Dunand qui lui permet de développer un style très personnel dans la veine Art déco, mêlant des personnages sommaires mais extraordinairement expressifs à toutes sortes d’animaux dépeints avec tendresse.
Profondément attaché à la religion catholique, Lambert-Rucki se tourne vers l’art sacré dès le milieu des années 1920. Prosternation (1925-1928), dont Jacques De Vos a tiré un bronze avec application de laque noire et de coquille d’œuf, représente une Vierge à l’Enfant devant laquelle s’incline une femme. L’artiste chérit saint François qu’il peint et sculpte, représente Marie Madeleine et souvent le Christ dans les différentes étapes de la Passion. Le hiératique Grand Berger (vers 1938) de plâtre polychromé, dont le petit chien s’abrite sous un pan de sa tunique, est peut-être aussi une évocation du Christ.
Renouvelant sans cesse son style en sculpture, Lambert-Rucki est un artiste singulier dont il faut également regarder avec attention les dessins et peintures, souvent très puissants, telle Christ et masques (1939), nature morte prémonitoire des horreurs de la Seconde Guerre mondiale.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°663 du 17 octobre 2025, avec le titre suivant : Lambert-Rucki, maître singulier de l’art sacré





