Un océan vert émeraude

Jacques De Vos agrandit sa galerie

Le Journal des Arts

Le 7 novembre 1997 - 709 mots

Jacques De Vos vient de doubler la surface d’exposition de sa galerie parisienne. Spécialiste de la période Art déco, il inaugure ce nouvel espace de 100 m2 avec une exposition Jean-Lambert Rucki. Une vingtaine de sculptures, réalisées dans les années trente et quarante, sont ainsi proposées jusqu’au 29 novembre. L’occasion pour ce professionnel de faire le point sur le marché de l’Art déco.

PARIS. Pavées uniformément de dalles de verre, les deux pièces qui composent ce havre de paix semblent envahies d’une lumière surnaturelle. “J’ai eu la chance de pouvoir récupérer une partie du dallage qui avait été réalisé pour l’exposition Pierre Chareau organisée au Centre Pompidou en 1993”, explique le maître des lieux. À deux pas de la Seine, en plein Saint-Germain-des-Prés, Jacques De Vos a réuni en un seul deux espaces artificiellement séparés depuis le siècle dernier. “J’ai décidé de réunir ces locaux pour donner de l’espace aux meubles et pouvoir exposer en même temps des artistes Art déco”. Pour inaugurer la nouvelle galerie, semblable à un océan vert émeraude, Jacques De Vos a fait appel à son vieux compagnon de route, qu’il n’a toutefois pas connu directement. “La découverte, en 1971, de Jean-Lambert Rucki, mort en 1967, a été pour moi une révélation””, avoue-t-il. Dix ans plus tard, l’antiquaire avait rassemblé plus de cent cinquante œuvres et loué l’atelier du sculpteur, rue des Plantes, à Paris. L’exposition de ces vingt-cinq bronzes, proposés entre 25 000 et 170 000 francs, n’a été possible que grâce à un véritable travail d’éditeur d’art. “Avec l’accord des héritiers, j’ai dû reprendre l’empreinte de ces pièces, uniques à l’origine, avant de les faire refondre, à la cire perdue, en huit plus quatre exemplaires.” La reproduction de la patine et de la couleur des sculptures, aussi touchantes qu’énig­­matiques et drôles, a constitué le dernier volet de ce travail. Parmi les soixante-dix œuvres données par les deux filles de Jean-Lambert Rucki au Musée départemental de Beauvais et qui y sont exposées jusqu’au 18 janvier, figurent d’ailleurs quelques-unes de ces refontes. Arrivé à Paris en 1911, Jean-Lambert Rucki a participé aux mouvements artistiques les plus importants du début du siècle. Mem­bre du groupe de Mont­par­nasse, collaborateur de Jean Dunand, cet artiste a encore été créateur de bijoux pour la joaillerie Fouquet, avant d’entrer de plain-pied dans l’art moderne.

Une année exceptionnelle
Pendant cette période, des années trente aux années quarante, sa technique a changé. Ses sculptures aux surfaces lisses ont fait place à des œuvres plus torturées et colorées – les Épouvantails (100 000 francs) –, voire aux formes étirées alternant les pleins et les vides, comme Totem aux ânes (170 000 francs). Présentées dans une même pièce, elles viennent apporter une touche supplémentaire à ce temple des années trente. “Un décor Art déco, quoique excessivement intéressant sur le plan commercial, doit idéalement être complété par d’autres styles”, déclare Jacques De Vos. D’autant que si jusqu’aux années soixante-dix, à l’exception des meubles de Doucet, l’Art déco n’était pas cher, les prix actuels constituent un barrage psychologique que la plupart des amateurs sont peu enclins à franchir. “Les banques sont d’ailleurs devenues excessivement frileuses vis-à-vis des marchands car, après la crise, des pièces remarquables ont subi des décotes de 30 % et plus”. Mais si les antiquaires ont beaucoup souffert entre 1991et 1994, le marché de l’Art déco a commencé à renaître en 1996,  et 1997 apparaît même comme une année exceptionnelle. Seule différence, les Français ne représentent plus qu’un quart des amateurs – contre la moitié avant la récession – et les Américains plus des deux tiers. Cette recomposition n’est pas sans risque, au regard “du nationalisme dont peuvent faire preuve les amateurs d’outre-Atlantique”. Le désintérêt des Français peut s’expliquer par le fait qu’au moment de la crise, nombre de décorateurs ont privilégié la douceur et la féminité des meubles en bois clair des années quarante, au détriment du style Art déco. Les résultats de la vente Dunand, confirmant l’intérêt suscité par l’Art déco, “prouvent que les collectionneurs hexagonaux peuvent se mobiliser pour des objets d’une rare qualité”. Même si, malheureusement, aucun  musée ne s’est manifesté lors de cette vente d’exception.

JEAN-LAMBERT RUCKI, galerie Jacques De Vos, 7 rue Bonaparte, 75006 Paris, tél. 01 43 29 88 94, tlj sauf dimanche 10h30-13h et 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°47 du 7 novembre 1997, avec le titre suivant : Un océan vert émeraude

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