Art ancien - Art contemporain

XVIIE SIÈCLE À NOS JOURS

La Vanité n’est pas morte

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2022 - 856 mots

LYON

Le Musée des beaux-arts de Lyon explore la Vanité, thème lié à la mort et qui se développe à partir de la nature morte en lui conférant une dimension morale, spirituelle ou philosophique. Un parcours ponctué d’œuvres d’art contemporain, signe de la pérennité du thème.

Lyon. Comment représenter l’irreprésentable ? Comment donner image à ce qui échappe à l’imagination ? Bref, comment figurer la mort ? Sous le titre un brin accrocheur de « À la mort, à la vie ! Vanités d’hier et d’aujourd’hui », le Musée des beaux-arts de Lyon tente de mettre en scène le dialogue, voire le combat, entre la menace qui pèse sur notre existence et la résistance de l’être humain face à l’inévitable. Les trois squelettes qui accueillent le visiteur de l’exposition, des sculptures en provenance du Nigeria, résument ce rapport dialectique. De fait, associé à des dessins anatomiques, le squelette, cette « charpente » corporelle, renvoie à notre fonctionnement physique. Mais en perdant le tissu organique, son « enveloppe », il offre, transformé en une trace minérale, une parfaite démonstration de l’inéluctable dégradation du corps. « L’omniprésence des squelettes semble finalement l’envers logique d’une production occidentale obsédée par la représentation du corps humain dans sa splendeur et sa pleine vitalité »,écrit la chercheuse (INHA) Pascale Cugy dans le catalogue. Le squelette s’engage ainsi dans la rencontre improbable et effrayante de figures vivantes et mortes, comme dans le thème de la Danse macabre (Hendrik Hondius l’Ancien, Procession macabre, 1619). Cette représentation, inspirée par une épidémie de peste noire au milieu du XIVe siècle et les dévastations de la guerre de Cent Ans, était par la passé un rappel sévère de l’imminence de la mort et un appel à la repentance. Si, de nos jours, cette scène ne tire plus sa force du domaine religieux, elle n’a rien perdu de son efficacité comme en témoigne le cinéma avec les multiples versions de la Nuit des morts-vivants et autres films de zombies.

Le passage du temps est ensuite le sujet de plusieurs sections : « Les trois âges de la vie », « Fragile jeunesse » ou encore « La Vie précieuse ». Les 50 photographies de Philippe Bazin déployées sur les murs – des portraits en gros plan de vieillards grabataires et d’enfants malades – cherchent, non sans une certaine brutalité, à rendre compte, selon Hervé Percebois (catalogue), « d’une présence, ou de ce qu’il en reste, [à] affirmer l’état de corps dans le constat de souffrances qui marquent les visages » (« Faces », 1982-1985).

« Vanités des vanités, tout est vanité »

Toutefois, ce sont les Vanités qui se trouvent au cœur de l’exposition. Plutôt que d’indiquer directement la mort, la Vanité évoque la futilité de la vie. Le terme provient de l’Ancien Testament où un personnage mystérieux, l’Ecclésiaste, déclare : « Vanités des vanités, tout est vanité. » En fait, la véritable traduction du mot hébreu hevel serait « souffle » ou « vapeur », cette matière sans consistance qui disparaît aussi rapidement qu’elle apparaît. Quoi qu’il en soit, ce thème à haute valeur symbolique se développe au XVIIe siècle, particulièrement dans les Flandres. Son point de départ est la nature morte, cette table recouverte de denrées alimentaires, d’animaux ou de fleurs, toutes choses qui ont à voir avec les sens et le plaisir. Ces ensembles offrent aux artistes une occasion de démontrer leur habileté à imiter la matière et les textures des objets palpables, faciles à reconnaître par le spectateur. Mais, graduellement, les peintres eux-mêmes ressentent la nécessité d’y inclure un élément spirituel plus ou moins explicite, mis parfois en évidence, tels une chandelle à moitié consommée, un sablier, des bulles de savon. Autrement dit, la nature morte se « saborde » elle-même, mettant en question l’importance de sa matérialité. La riche collection du musée en comprend quelques exemples spectaculaires comme la toile de Pier Francesco Cittadini (1616-1681) dans laquelle le crâne, au premier plan, semble s’adresser au visiteur. Détaché du corps, décharné, placé au centre de nombreux attributs, le crâne endosse rapidement une signification morale, se transforme en un emblème désincarné (Simon Renard de Saint-André, Vanité, 1650). Plus ambiguë est la Nature morte à la bouteille et au violon de Roland de la Porte (1724-1793) dont le sens caché, la pérennité des arts, est suggéré par le voisinage de l’instrument de musique usé et d’une partition aux feuilles froissées avec une bouteille de vin vide et une boule de pain entamée.

L’exposition prend un tour particulier avec la présence, tout au long du parcours, d’œuvres contemporaines. À la différence des Vanités classiques, à l’iconographie enfermée dans un code strict, ces travaux s’écartent du cadre religieux et inventent des manières singulières d’affronter la fin, de faire face à l’absence scellée par la mort. Avec Les Termites. Fruits pourris (1994,) de Miquel Barceló, le support même – le papier – est rongé par des termites. Ailleurs, une masse de chair – ou de viande –, accrochée comme dans une boucherie, est bien loin de la Crucifixion à laquelle elle fait penser (Francis Bacon, Carcasse de viande et oiseau de proie, 1980). Dans la dernière salle, c’est une magnifique sculpture d’Étienne-Martin, mi-homme, mi-animal enchaîné, qui crie toute l’horreur de son destin. Intitulée Ecce Homo (1993), elle substitue à l’espoir de la rédemption la force de la révolte.

À la mort, à la vie ! Vanités d’hier et d’aujourd’hui,
jusqu’au 7 mai, Musée des beaux-arts, 20, place des Terrreaux, 69001 Lyon.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°581 du 21 janvier 2022, avec le titre suivant : La Vanité n’est pas morte

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque