Exposition

La nouvelle ère des expositions

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 3 janvier 2023 - 1599 mots

Médiation, expériences immersives, collaborations extérieures… : la manière de concevoir les expositions a considérablement changé ces dernières années.

Expérience, inclusion, écoconception, etc. : il souffle indéniablement un vent nouveau sur les expositions. Cette pratique ancestrale, dont les origines remontent au mythique Salon du Louvre instauré sous le Roi-Soleil, a en effet connu de profonds bouleversements au cours des dernières années. Les premières décennies du XXIe siècle ayant vu émerger des tendances nouvelles, tant dans le choix des sujets que dans la manière de les montrer. S’il est toujours délicat d’édicter un point de bascule, il ne fait aucun doute que la loi relative aux musées de France promulguée en 2002 a constitué un jalon décisif. Ce texte, qui formalise l’objectif de renouvellement et de rajeunissement des publics, a de fait sensiblement modifié les conditions de présentation des œuvres et la prise en compte de la diversité des visiteurs. « L’accessibilité est clairement un des grands apports des vingt dernières années », confirme Carole Benaiteau, muséographe indépendante, directrice de l’ouvrage Concevoir et réaliser une exposition (Eyrolles). « La loi de 2002 modifie la définition même du musée et grave dans le marbre la nécessité de le rendre accessible au public le plus large. De plus, la loi de 2005 sur l’égalité des droits et des chances a fait de l’accessibilité universelle une vraie question et suscité la création de postes de chargés d’accessibilité au sein des musées à destination des publics éloignés et empêchés. Tout cela a changé la réflexion sur le discours et la manière de l’expliciter afin qu’il soit intéressant et intelligible pour le plus grand nombre. » Pour prendre la mesure du chemin parcouru, il suffit d’examiner un cartel, l’outil de base d’une exposition. Rédigé en Falc (français facile à lire et à comprendre), très développé, il intègre désormais des éléments de culture générale qu’il aurait jadis semblé superflu d’expliquer.

Médiation tous azimuts

Jadis parent pauvre, la médiation s’est en effet imposée comme un outil central de démocratisation et est d’ailleurs prise en compte dès la genèse. « Nous avons vraiment modifié notre façon de fabriquer nos expositions car nous travaillons en mode équipe-projet, explique Julie Bertrand, directrice des expositions et des publications de Paris Musées. C’est-à-dire que l’on réunit les professionnels de différentes disciplines dès le début, ce qui permet de penser très en amont la médiation et l’inclusion afin de répondre aux attentes du public le plus large. Nous savons que cette démarche plaît au public et participe à sa fidélisation. » Numérique, dispositifs immersifs, olfactifs, musique et même jeux vidéo : la médiation est devenue centrale et protéiforme en l’espace de quelques années. Il semble bien loin le temps où une exposition de beaux-arts se bornait à présenter des œuvres et le seul discours de l’expert. La multiplication de ces propositions variées ambitionne en effet de faire tomber les barrières et les réticences du public le moins familier des musées. Les parcours multiplient ainsi les modalités d’adresse, de la dimension technique de l’œuvre à la reconstitution d’une époque ou d’un foyer artistique. « Depuis dix ans, nos expositions intègrent de plus en plus une dimension interactive et participative. C’est fondamental pour atteindre nos objectifs de rajeunissement et d’élargissement des publics, résume Agnès Benayer, directrice du développement des publics de Paris Musées. Nos projets fonctionnent moins dans la logique d’un savoir dispensé de manière verticale ; au contraire, l’enjeu est le partage des connaissances avec des entrées multiples et complémentaires. C’est pour cette raison que nous intégrons les outils de médiation au sein de l’exposition, cela rend le public plus actif. L’objectif est de proposer des contenus différenciés qui s’adressent à plusieurs tranches d’âge et niveaux de lecture, ce qui permet de créer un parcours singulier et personnalisé. » Marginale hier encore, cette réflexion sur la pluralité des regards gagne du terrain, que l’on pense à la montée en puissance des invitations à des artistes, des écrivains mais aussi des acteurs de la société civile dans le propos d’une exposition. Ces initiatives sont parfois même le sujet de l’exposition. En 2021, le Musée de Pont-Aven proposait, par exemple, une exposition cocréée par les visiteurs, tandis que le Frac Île-de-France présente actuellement un accrochage conçu par l’artiste Éric Gouret en collaboration avec des personnes issues du champ social.

Expérience globale

Cette quête de démocratisation, conjuguée à l’évolution du goût de notre époque sensible au storytelling et à la promesse d’entrer dans les coulisses, explique aussi la mutation des expositions du simple accrochage à l’expérience globale. Les établissements rivalisent ainsi pour imaginer de grandes fresques mémorables qui permettent aux établissements d’attirer le chaland dans un contexte concurrentiel en se distinguant par une proposition originale. « Les expositions ont énormément évolué au cours des vingt dernières années, remarque Agnès Wolff, directrice de la production de la RMN-GP, avec de plus en plus de lieux dédiés, une offre pléthorique, notamment à Paris, et qui n’a pas fini de grandir, et un public exigeant face à cette offre. » Exigeant, le grand public a de fait développé des standards élevés que la stricte réunion d’œuvres de qualité ne suffit plus à satisfaire totalement. Le spectateur ne vient en effet plus uniquement admirer des œuvres mais il vient aussi découvrir un univers, une époque et vivre une expérience basée sur des sensations et des émotions. « Aujourd’hui, une exposition qui ne proposerait “que” des connaissances et de l’esthétique ne serait plus reconnue comme une super exposition, avance Carole Benaiteau. C’est pour cela que les professionnels tentent sans cesse de se renouveler pour accompagner le visiteur dans sa découverte et lui offrir des nouveautés. » La comparaison de projets similaires organisés à plusieurs décennies d’intervalle est à ce titre révélatrice. Quel fossé, par exemple, entre les expositions du bicentenaire de la naissance de Napoléon (1969) et celui de son trépas (2021) ! Véritable show, cette dernière multipliait les dispositifs évocateurs associés à une mise en scène immersive qui s’apparentait à une machine à remonter le temps. Initiée par des scénographes venus du monde du spectacle vivant, notamment Robert Carsen, cette approche théâtrale est devenue une figure de style incontournable dans la grammaire des expositions depuis la spectaculaire « Marie-Antoinette » en 2008. Depuis, rares sont les projets d’envergure à ne pas faire la part belle au décor et aux émotions, qu’il s’agisse d’expositions de peinture ou de mode, comme en témoigne la très vivante monographie Schiaparelli au Musée des arts décoratifs (Mad). Outre les blockbusters parisiens, cette tendance gagne aussi les musées de province, que l’on pense à la proposition très incarnée et immersive du Palais des beaux-arts de Lille qui, l’été dernier, plongeait son public dans l’ambiance tantôt féerique tantôt angoissante de la forêt, mais aussi à la remarquable exposition ressuscitant actuellement au Musée de Besançon l’atmosphère effervescente de la cité du Doubs au XVIIIe siècle.

Actualité brûlante

Si la manière de montrer les objets a profondément changé, la nature même des œuvres a sensiblement évolué. Parallèlement aux indémodables expositions monographiques de vedettes de l’art ancien et moderne, a ainsi émergé un courant portant aux nues des outsiders. C’est-à-dire des genres autrefois dénigrés dans les musées, tels que la mode, l’artisanat d’art ou la BD, mais aussi des petits maîtres ou des stars d’hier tombées dans l’anonymat. La dernière décennie a également vu se multiplier les projets transversaux livrant une vision pluridisciplinaire d’une époque ou embrassant des aires géographiques inédites dessinant une nouvelle histoire mondiale de l’art. Toutefois, la révolution la plus éclatante est sans conteste la reconsidération de la place des femmes. Pratiquement invisibles il y a encore une dizaine d’années, elles reprennent leur place dans la programmation au point d’être incontournables. Rien que pour la saison 2022-2023, le visiteur peut, entre autres, découvrir Alice Neel et Germaine Richier au Centre Pompidou, Vieira da Silva à Dijon, Rosa Bonheur à Orsay, Fernande Olivier au Musée de Montmartre ou encore les « Parisiennes citoyennes » à Carnavalet. Cette profusion répond autant à un besoin de rééquilibrage et de valorisation de la recherche actuelle qu’au désir des visiteurs. « Il y a une attente très forte de la part des nouveaux publics pour que le musée s’empare des sujets de société, notamment la place des femmes, souligne Agnès Benayer. Les nouvelles générations sont plus engagées et sensibles aux sujets de société qui résonnent avec les thématiques d’actualité. Les musées n’étant pas en dehors de la société, mais un lieu de vie engagé, il est donc normal qu’ils se saisissent de ces questions. Ce qui est assez nouveau, c’est d’intégrer cette réflexion à la programmation des musées des beaux-arts et d’histoire. »

Cette appétence pour les questions sociétales explique l’incursion de plus en plus importante de sujets d’actualité brûlants liés au genre, à la question de la provenance, de l’histoire coloniale et de l’écologie. Cette attention aux enjeux environnementaux bouleverse aussi la conception des expositions en s’invitant dans le cahier des charges. Encore balbutiante il y a quelques années à peine, l’écoconception a ainsi fait un bond de géant face à l’urgence climatique et aux enjeux de sobriété énergétique. « Depuis plusieurs années, nous essayons au maximum de réutiliser nos scénographies, mais nous voulons aller encore plus loin en intégrant cette préoccupation dès le début de la réflexion, notamment comme critère dans le choix de notre liste d’œuvres, confie Julie Bertrand. Si une œuvre conservée à l’étranger n’est pas essentielle au propos, nous la remplacerons ainsi par une œuvre équivalente, mais de proximité. De plus en plus, le bilan carbone va nous aider à piloter nos projets. » Un petit pas à l’échelle de l’humanité, mais un pas de géant à l’échelle des musées qui témoigne de la volonté de l’institution de se placer toujours plus au cœur des problématiques de la société.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : La nouvelle ère des expositions

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