Musée

De Pierre Boulez à une RMN immersive

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2022 - 593 mots

Hormis les professionnels de la profession, comme ironisait Jean-Luc Godard, qui connaît la Réunion des musées nationaux (RMN) ? Pourtant pendant des années, elle a rythmé nos découvertes artistiques alternant, notamment au Grand Palais, des monographies magistrales et des expositions thématiques ambitieuses.

La RMN le faisait grâce à une coopération inégalée entre les principaux musées d’Europe, des États-Unis et d’Union soviétique qui prêtaient leurs chefs-d’œuvre. Elle avait également des activités commerciales (éditions, gestion de librairies et boutiques) et assumait aussi sur notre territoire une péréquation financière entre musées « riches » (Louvre, Versailles…) et d’autres moins dotés. Mais après 2002, l’efficacité de cette mission a été contestée tandis que les grands établissements revendiquaient et obtenaient leur autonomie. La RMN a dû revoir ses missions et, en 2011, elle récupérait la gestion du Grand Palais.

Les dernières évolutions de la RMN, devenue RMN-Grand Palais, laissent pantois. En début d’année, l’organisme public, sous tutelle du ministère de la Culture, décidait d’encourager la concentration dans l’organisation des foires en confiant au groupe suisse MCH, « leader mondial », la logistique de la manifestation automnale d’art contemporain à Paris, l’ex-Fiac, au Grand Palais éphémère. Sans ignorer les conséquences que pourrait entraîner à terme une position dominante en matière de sélection des galeries, de tarifs de location des stands et de prix pour les visiteurs. MCH possède déjà Art Basel, fleuron des foires d’art contemporain, et ses déclinaisons à Miami et Hongkong.

Emboîtant le pas à un opérateur privé, Culturespace qui, après la gestion de monuments historiques et de musées, a ouvert huit centres d’art numérique dans le monde, l’organisme public a aussi créé une filiale « Grand Palais immersif » pour « produire, diffuser des expositions numériques, immersives et innovantes ». La première manifestation parisienne, « Venise révélée », ne convainc pas, loin s’en faut (lire l’éditorial de Jean-Christophe Castelain dans le JdA n° 595). Deux doivent se succéder chaque année ; la prochaine va célébrer Mucha. Mais, si nous observons ce qui se pratique actuellement dans le monde, le pire est à redouter. Le but affiché est toujours d’offrir « une expérience sensorielle » inédite au visiteur, de l’immerger comme un poisson dans son bocal. La vue est flattée puisque les projections d’images sont gigantesques, celles de détails sont décuplées. Mais la vue de celui qui paye cher son entrée sera toujours frustrée de la matérialité de l’œuvre originale – celle de la peinture, de la sculpture –, il n’y a qu’une profusion étourdissante de reproductions. L’ouïe doit se contenter d’une musique banale, d’une bande-son mécanique, de commentaires déclamés sur un ton désuet ou grandiloquent, servis avec un fort volume gênant la concentration visuelle. Cerise sur le gâteau à Las Vegas, pour satisfaire le goût et l’odorat, « O’Keeffe : One Hundred Flowers » vend un cocktail inspiré des fleurs chères à l’artiste ainsi que des graines à planter dans le jardin.

Le Grand Palais immersif s’est installé dans l’Opéra Bastille et, ironie de l’histoire, occupe une partie des espaces de la défunte et controversée « salle modulable ». Celle-ci, selon Pierre Boulez, faisait l’originalité du projet initial du nouvel opéra : avoir à côté de la grande salle frontale dévolue au répertoire traditionnel une autre plus réduite, ouverte aux expérimentations audacieuses en musique, en danse, en scénographie. Mais en 1986, le gouvernement Chirac de la première cohabitation décidait l’abandon de ce volet axé sur la création. Néanmoins, durant toute sa vie, le compositeur et chef d’orchestre ne cessa de se battre pour la résurrection de cette salle modulable. À quels spectacles est-elle promise désormais ? Ne faisons pas parler les morts, craignons seulement de devoir fermer les yeux et les oreilles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°596 du 7 octobre 2022, avec le titre suivant : De Pierre Boulez à une RMN immersive

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