Art non occidental

La face sombre de la mission révélée au Quai Branly

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2025 - 557 mots

L’exposition « Mission Dakar-Djibouti (1931-1933) » soumet les méthodes de la mission à la critique, et privilégie les points de vue des chercheurs africains..

Paris. Comme le précise Emmanuel Kasarhérou, président du Musée du quai Branly, l’exposition choisit de « tout montrer » de cette mission, y compris les aspects les plus sombres. Car sur les 3 600 objets rapportés d’Afrique en 1933, combien ont été volés ou pillés ? Du contexte colonial aux contacts avec les communautés du Mali ou d’Éthiopie, les commissaires de l’exposition « Mission Dakar-Djibouti » et le comité scientifique optent pour la transparence, en se basant sur les documents d’archives et les notes de terrain des chercheurs. Le titre de l’exposition donne un vernis judiciaire à la démarche, et ce n’est pas un hasard : la commissaire générale, Gaëlle Beaujean, dit s’être inspirée du roman de Kamel Daoud Meursault, contre-enquête (2014, Actes Sud). Il est donc question d’indices, de preuves, d’interrogatoires, des termes employés sur les cartels et dans les textes de salles. La scénographie assez classique (vitrines, murs ocre) offre un cadre neutre à cette enquête, qui s’incarne dans des cartels détaillés et des extraits vidéo tournés en Afrique par certains membres du comité. L’un des apports de cette exposition réside en effet dans des contre-enquêtes menées dans plusieurs pays traversés par la mission, à la recherche de témoignages ou d’informations sur les objets collectés.

L’exposition confronte donc les objets et documents de la mission à un regard influencé par les études postcoloniales. C’est ainsi que l’identité des interprètes et guides africains a été systématiquement recherchée, d’autant que certains sont présents sur plusieurs photographies de la mission et cités par Michel Leiris, secrétaire de la mission. Les objets aussi ont parfois été renommés lorsque leur fonction a pu être précisée par les interlocuteurs des contre-enquêtes. D’après Mame Magatte Sène Thiaw (Musée des civilisations noires, Dakar), les contre-enquêtes au Sénégal « ont fait l’objet de préparation en amont, car le contexte était assez sensible », et se sont bien déroulées même si « les gens n’avaient pas de souvenir de la mission car il n’y a pas eu de transmission ». Les chercheurs ont en effet parfois eu des difficultés à obtenir des informations, et certains cartels restent lacunaires, y compris sur la fonction même des objets.

Seuls 30 objets bénéficient d’une contre-enquête, signalée par une pastille sur les cartels, et les autres sont exposés avec le maximum de détails sur leur modalité d’acquisition. On note l’usage du terme « volé » sur plusieurs cartels, notamment pour les objets rituels. Le boli malien est étudié ici en détail car « réquisitionné » par la mission malgré le refus du chef de culte, alors qu’il s’agit d’un objet hautement symbolique. Dans le contexte actuel des restitutions et du débat sur la colonisation, l’exposition matérialise donc la bonne volonté du musée qui met en lumière les chercheurs africains. Sur ce sujet sensible, Hugues Heumen, directeur du Musée national du Cameroun, déclare que « parler de décolonial ou postcolonial ne signifie pas une revanche sur l’ancien colon ». Le musée est au centre de plusieurs demandes de restitution, mais les commissaires ne sont pas tous d’accord sur cette question. Si Hugues Heumen estime que « tous les objets rituels devraient être restitués », Mame Magatte Sène Thiaw juge que « l’exposition n’est pas forcément à placer dans ce débat ». De son côté, le musée affirme vouloir poursuivre les recherches de provenance dans ses collections.

Mission Dakar-Djibouti (1931-1933) : contre-enquêtes,
jusqu’au 14 septembre, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°655 du 9 mai 2025, avec le titre suivant : La face sombre de la mission révélée au Quai Branly

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