Histoire

ARTS D’ORIENT

Juifs d’Orient, des origines à nos jours

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2022 - 890 mots

PARIS

Une riche exposition à l’Institut du monde arabe retrace l’histoire plurimillénaire des communautés juives du Maghreb et du Moyen-Orient, entre épanouissement culturel et exils.

Paris. Pour Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA), l’exposition « Juifs d’Orient » répond à deux impératifs : « Donner une place aux cultures juives d’Orient » et « répondre par le savoir et l’histoire au confusionnisme actuel ». Elle vise ainsi à redonner une visibilité aux communautés juives du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient, sur fond de résurgence de l’antisémitisme. Le commissaire général, Benjamin Stora, souligne d’ailleurs que « cette histoire est souvent considérée par sa fin, par l’arrachement et les conflits, alors qu’il y a près de 3 000 ans d’histoire avant ».

Comment donner à voir la présence juive en Orient, alors que cet Orient va « de l’Atlas à l’Euphrate » remarque Benjamin Stora ? La commissaire Élodie Bouffard, responsable des expositions de l’IMA, justifie le choix de combiner une approche chronologique avec des focus thématiques : « Pour l’Antiquité, ce sont les symboles, que l’on retrouvera ailleurs dans l’exposition, puis les échanges intellectuels, les Séfarades et les exils jusqu’au XXe siècle. »

Dès l’entrée, les visiteurs découvrent des œuvres très belles ou très rares, comme des fac-similés des plaques de cuivre de la communauté de Qumrân (Ier siècle avant J.-C.), et un tableau de Marc Chagall représentant Moïse recevant les Tables de la loi (1950-1952). La première partie de l’exposition s’appuie majoritairement sur des pièces archéologiques et des documents dans les langues de l’empire romain (grec, latin, araméen, hébreu). Une projection vidéo multi-écrans donne aussi à voir et à entendre la synagogue de Doura Europos, dans le nord-est de la Syrie (IIe et IIIe siècles après J.-C.), un bâtiment classé au patrimoine mondial de l’Unesco. À partir du VIIe siècle, l’arrivée de l’islam bouleverse les équilibres, même s’« il y a eu des contacts étroits avec les tribus juives bien avant », comme le rappelle Benjamin Stora.

Âge d’or et exils de la communauté juive

Le parcours devient plus thématique dans les autres salles, où sont abordés les communautés médiévales et leur exil pendant la Reconquista espagnole. « Le rapport aux pièces exposées devient différent, car elles nous montrent des aspects plus quotidiens de la vie des communautés », explique Élodie Bouffard. Des documents extraits de la Genizah du Caire (collection de feuillets écrits en hébreu conservés après usage) sont ainsi exposés pour la première fois en France, révélant la vitalité de la communauté juive égyptienne sous le califat fatimide (Xe au XIIe siècle).

C’est aussi une période d’intense activité intellectuelle en Méditerranée, notamment pour les traductions en arabe de textes grecs et latins sous la plume de scribes araméens ou de savants juifs. La Reconquista en Espagne marque la fin de cet âge d’or et le début d’un « éparpillement des communautés » en Méditerranée, avec différents rapports à la langue hébraïque. De nombreux documents et objets montrent ainsi « l’émergence d’une langue judéo-arabe au Maroc dans les communautés expulsées d’Espagne », souligne Benjamin Stora. Les liens familiaux distendus et la structuration locale des identités restent deux thèmes forts de cette partie consacrée aux Séfarades, car les commissaires souhaitent montrer « une vie culturelle et religieuse en commun avec l’islam, surtout au Maghreb ». Une cohabitation parfois difficile, puisque les juifs étaient soumis au statut de « dhimmi » [statut juridique des minorités juives et chrétiennes qui garantissait, contre un impôt payé annuellement, leur protection et la pratique leur religion] dans les régions sous contrôle musulman, y compris dans l’empire ottoman. Cela n’empêche pas les communautés de prospérer, à Istanbul ou à Marseille, grâce au commerce, tout en conservant des liens entre elles : l’apparition de l’imprimerie au XVIe siècle, puis celle des cartes postales au XIXe permettent une circulation des idées, comme le montrent des documents issus de collections privées.

À cette même époque, les vêtements des juifs d’Orient influencent la mode occidentale, notamment « les gilets brodés » introduits en Europe par l’orientalisme, selon Élodie Bouffard. De jolis dessins et clichés de Charles Lallemand (1865) documentent ces influences, tout en illustrant comment la « juive » est devenue un stéréotype orientaliste sur fond de références bibliques mal digérées par les artistes.

« Multiplicité des identités juives »

Pour la période moderne et contemporaine, les commissaires ont choisi un panorama par pays, mettant en valeur des communautés très structurées par leur identité culturelle. Du Maroc à l’Iran, des éléments communs se retrouvent cependant, comme la « main de Fatma » aux cinq doigts levés, un porte-bonheur hérité de l’islam et adopté par les juifs. Mais ces communautés se définissent-elles par leur religion ou leur appartenance ethnique ? La réponse à cette question reste ouverte. Élodie Bouffard précise que les dernières parties de l’exposition tentent de « défaire l’appellation séfarade » et de montrer « la multiplicité des identités juives ».

Cependant la dernière salle trouble quelque peu le propos : les commissaires passent vite sur la création de l’État d’Israël, pourtant essentielle dans l’exil des communautés orientales, mais exposent des témoignages audio de juifs d’Algérie et des vidéos musicales, dont un amusant clip de hip-hop de chanteuses juives yéménites en Israël. En outre, les espaces d’exposition exigus et sombres enferment les visiteurs, comme le reconnaît Élodie Bouffard : « Ces salles ont un plafond très bas et il est difficile de les aménager. » Clore l’exposition sur des planches de la bande dessinée Le Chat du rabbin de Joann Sfar donne également l’impression d’une fin brouillonne, qui fait regretter la qualité des salles précédentes.

Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire,
jusqu’au 13 mars 2022, Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°580 du 7 janvier 2022, avec le titre suivant : Juifs d’Orient, des origines à nos jours

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