Allemagne - Art moderne

XIXE-XXE SIÈCLES

Histoires de musées et de collections

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2022 - 869 mots

Dans le premier tiers du XXe siècle, les collectionneurs se sont arraché les œuvres impressionnistes et postimpressionnistes. Une période au cours de laquelle l’Allemand Osthaus et le Japonais Matsukata ont poursuivi leur rêve de musée.

Essen (Allemagne). Pour fêter son centième anniversaire, le Museum Folkwang présente une exposition mettant en parallèle environ cent dix œuvres de deux collections d’art. Un portrait d’homme en pied d’Édouard Manet et une Vague de Gustave Courbet dans chacune, des Gauguin des deux côtés, un ensemble de Van Gogh du Folkwang et de Monet du Musée national d’art occidental de Tokyo : on croirait ces collections en compétition. On pourrait cependant s’interroger sur ce qui les lie. Leur point commun est qu’elles témoignent toutes deux du rayonnement mondial de l’art français au début du XXe siècle.

Une collection constituée pour les ouvriers de la Ruhr

L’histoire du Folkwang a commencé à une quarantaine de kilomètres d’Essen. En 1897, héritant de ses grands-parents, Karl Ernst Osthaus (1874-1921), né à Hagen, commence à collectionner des œuvres d’art pour fonder dans cette ville un musée à destination des ouvriers de la Ruhr. Dans son projet, une collection d’histoire naturelle et des tableaux de l’école de Düsseldorf se partageront l’espace, mais un voyage en Afrique du Nord et à Istanbul lui fait découvrir d’autres civilisations.

Il prend contact avec l’artiste et designer belge Henry Van de Velde, grand représentant de l’Art nouveau qui, depuis 1897, travaille pour une riche clientèle allemande. Osthaus, qui lui confie l’aménagement de son musée, découvre avec lui l’art contemporain. À Berlin, en 1901, il achète Lise, la femme à l’ombrelle d’Auguste Renoir (1867) et, en 1902, La Moisson, champ de blé derrière l’hospice de Saint-Paul avec un faucheur de Vincent van Gogh (1889), le premier à entrer dans un musée allemand. En 1903, le marchand d’art Ambroise Vollard lui vend notamment Conte barbare de Paul Gauguin (1902). Le couple Osthaus rend visite à Paul Cézanne en 1906, à Aix-en-Provence – Gertrud prend la dernière photo connue de l’artiste, souriant –, et deux peintures rejoignent le Folkwang dont La Carrière de Bibémus (vers 1895) que le musée devra racheter après qu’il a été vendu par les nazis. Car cette collection qui, en 1912, comptait environ sept cents œuvres d’artistes français, a subi les vicissitudes des deux guerres. À la fin de la Première Guerre mondiale, Osthaus, dans une situation économique périlleuse, doit se séparer d’une partie de ses œuvres.

Après sa mort, son testament stipule que ce qui reste devra être vendu en tant qu’ensemble, et c’est le musée d’Essen qui l’achète, grâce à une association de donateurs. C’est ainsi qu’en 1922 le Museum Folkswang est transféré à Essen. Mais, en 1937, 1 400 œuvres considérées par les nazis comme de « l’art dégénéré » (les expressionnistes allemands d’Osthaus, notamment), sont confisquées puis détruites ou vendues. Depuis, le musée s’est appliqué à acheter des œuvres qui ont appartenu aux Osthaus avant ou après la guerre, ou d’autres permettant d’illustrer leur goût.

La collection Matsukata

Or le Musée national d’art occidental de Tokyo, qui a hérité des collections de Kôjirô Matsukata (1866-1950), est dans le même cas. Cet homme fantasque, qui a fait ses études aux États-Unis, fuit régulièrement un Japon trop corseté. Il est riche et veut fonder un musée dans son pays. Il commence par acheter beaucoup d’art japonais, mais il veut aussi faire découvrir l’art européen à ses compatriotes. En 1916, à Londres, il rencontre le peintre et designer Frank Brangwyn dont il fait son apporteur d’affaires. Il est d’ailleurs amusant de constater que, si Osthaus et Matsukata ne se sont jamais rencontrés, Brangwyn et Van de Velde se connaissaient bien. Grâce au Gallois, Matsukata acquiert un millier d’œuvres européennes avant 1918. Pour l’art français contemporain, c’est cependant Léonce Bénédite qui conseille le Japonais à partir de 1917. Directeur du Musée du Luxembourg, à Paris, depuis 1892, il devient en 1919 celui du Musée Rodin. Avant sa mort en 1925, il achète beaucoup pour Matsukata qui vient régulièrement en France. Comme Osthaus avant lui, il aime fréquenter les ateliers. En 1921, il se rend chez Monet, porteur d’un flacon de cognac de 1808 : il possédera jusqu’à trente-quatre tableaux de l’artiste. Et, comme Osthaus, il collectionne Courbet, Manet, Gauguin, Rodin, Renoir et les postimpressionnistes.

Malheureusement, en 1928, un incendie détruit neuf cents œuvres lui appartenant dans un entrepôt londonien. C’est que, depuis 1927, il n’envoie plus rien au Japon qui a institué des droits de douane de 100 %. Pour supporter les frais de stockage et dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, une partie de sa collection entreposée en France devra être cédée (le Musée de Tokyo s’emploie aujourd’hui à racheter certaines œuvres), puis l’État français confisque ce qu’il reste à ce citoyen d’une puissance de l’Axe et vend à son tour certaines œuvres. Matsukata ne reverra jamais ses trésors mais, en 1959, la France renvoie 375 des 400 œuvres restantes au Japon pour permettre la création d’un musée national d’art européen dont le bâtiment sera construit par Le Corbusier. Parmi les tableaux retenus alors par la France, La Serveuse de bocks de Manet (1878-1879) et Paysage de Bretagne. Le moulin de David de Gauguin (1894) ont été prêtés par le Musée d’Orsay pour l’exposition.

Renoir, Monet, Gauguin, Images d’un monde flottant,
jusqu’au 15 mai, Museum Folkwang, Museumplatz 1, 45128 Essen (Allemagne).

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Histoires de musées et de collections

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque