Photographie

Rétrospective

Giacomelli, le photographe des contrastes

Par Michel Frizot · Le Journal des Arts

Le 4 mars 2005 - 641 mots

La Bibliothèque nationale de France expose sa collection de tirages de l’Italien, mais dans une présentation qui ne tient aucunement compte de la cohérence voulue par l’artiste.

PARIS - Mario Giacomelli est de plus en plus reconnu, depuis sa mort en 2000. Cette reconnaissance publique lui vaut une exposition à la Bibliothèque nationale de France, à partir des tirages qu’il avait lui-même généreusement donnés. Mais l’œuvre reste complexe à aborder selon les critères habituels de la photographie.
Giacomelli n’a jamais été un photographe comme les autres. Né en 1925 dans le village de Senigallia, dans les Marches (Italie) – où il est resté toute sa vie –, il était graveur, puis imprimeur, et n’a pratiqué la photographie qu’en marginal, mais très activement, et pendant près de cinquante ans. Membre du groupe La Bussola en 1956, il commence par des « reportages » de néoréalisme social, par exemple à la maison de retraite du village, où travaille sa mère, puis dans un autre village, Scanno, qui semble peuplé de vieillards en deuil, ou à Lourdes en 1957. Le noir absolu l’attire, pour des tirages très contrastés, dans le goût de l’époque, où les gris sont presque absents (on y a toujours vu une influence de son métier de graveur). Le contraste noir/blanc maximum est atteint avec la série des séminaristes jouant dans la neige, qui s’étend de 1961 à 1963 et assurera la célébrité de Giacomelli : graphisme, mouvement, flou, schématisme, sérénité et joie constituent déjà son langage poétique. La série s’intitulera ensuite « Je n’ai pas de mains qui me caressent le visage ». Car désormais Giacomelli travaille par séries, poursuivies pendant plusieurs années, et les réalimente ensuite par d’autres « sujets », ou d’autres images autonomes qui n’ont pas grand-chose en commun avec le sujet initial. Les associations, les agencements deviennent plutôt une affaire de poésie interne, d’atmosphère, plus que de définition objective. Et c’est ce qui fait toute l’intelligence du travail photographique de Giacomelli, et sa singularité dans un monde habitué à se fier au légendage qui accompagne une image. Giacomelli ne fait qu’illustrer sa vie, ses interrogations, ses peurs, ses fantasmes et, de plus en plus clairement, en s’éloignant de la prise de vue objective et en manipulant ses images (superposant des clichés, occultant ou ajoutant).

Construction intérieure
Après 1985, toutes les séries se parent de titres empruntés à des poèmes, affirmant par là même la vocation poétique et métaphorique de son œuvre photographique (on peut le comparer en cela aux Américains Meatyard ou Uelsmann). L’ordonnancement très « primitifs siennois » des paysans de Buona Terra (1964-1966), la rigueur graphique des paysages de brûlis vus d’avion, font place à un apparent désordre, à une folie énigmatique (enchevêtrements de béton et ferrailles de Favola, 1983-1984), à d’inquiétantes présences spectrales dans les délabrements d’un mur (Bando, 1997-1999) ou les anneaux de croissance des arbres coupés (Nella sezione dell’albero, 1999), à des détritus et signes récapitulatifs de son imaginaire (I miei compagni di poesia nel 2000).
Pourtant, au lieu d’accepter in extenso la cohérence de ces sériations prévues et affirmées par l’auteur, la commissaire de l’exposition de la BNF a tenu à procéder à ses propres arrangements, pour organiser une hypothétique démonstration par chapitres aux concepts très flous (« Métamorphoses du visible », « Théâtres de l’imaginaire »). Il est bien dommageable que cinq ans après sa disparition, on dénie ainsi la patiente et résolue construction intérieure d’un auteur. Il faut voir l’exposition pour admirer des tirages originaux, toujours somptueux, mais on comprendra mieux l’œuvre mentale d’une vie en se référant à l’ouvrage publié chez Phaidon, dont nous avions rendu compte ici même (lire JdA n° 160, 6 décembre 2002).

Mario Giacomelli. Métamorphoses

Jusqu’au 30 avril, Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, 58, rue de Richelieu, 75002 Paris, tél. 01 53 79 59 59, www.bnf.fr, tlj sauf lundi, 10h-19h, dimanche 12h-19h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°210 du 4 mars 2005, avec le titre suivant : Giacomelli, le photographe des contrastes

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