La première rétrospective depuis soixante-dix ans en Italie conforte le nouveau rôle attribué au moine peintre dans la révolution artistique de la Renaissance.

Florence (Italie). Du jamais vu depuis soixante-dix ans en Italie. Depuis 1955, il n’était pas possible d’admirer autant d’œuvres du peintre et moine dominicain Fra’ Giovanni da Fiesole (v. 1395-1455), plus connu sous le nom de Fra Angelico ou Beato Angelico dans la péninsule depuis sa béatification, en 1982, par Jean-Paul II qui l’a proclamé deux ans plus tard saint patron des artistes. La rétrospective qui lui est consacrée à Florence fera date. Comme celle organisée, il y a sept décennies, l’exposition qui lui rend hommage se déploie sur deux lieux. À l’époque, il s’agissait du Vatican et du Musée de San Marco à Florence, ancien couvent où vécut et travailla Fra Angelico. C’est de ce lieu incontournable pour évoquer cet artiste que débute l’exposition qui se poursuit ensuite au Palazzo Strozzi, situé à quelques mètres à peine.
Le rendez-vous de 1955 avait marqué la réhabilitation de Fra Angelico grâce aux efforts de l’historien de l’art Giulio Carlo Argan. Celui de 2025 entend entériner la redéfinition de son rôle depuis les années 1990. L’artiste moine n’est pas seulement le « Peintre angélique » de la piété au crépuscule de l’art gothique, mais un protagoniste fondamental de l’aube de la Renaissance. En 1970, Elsa Morante, dans un essai qui lui était consacré et dans lequel elle s’interrogeait sur sa place dans « la révolution des arts à la Renaissance », se demandait si Fra Angelico avait participé à la révolution humaniste du Quattrocento.

« Nous souhaitons affirmer que oui », répond Carl Brandon Strehlke, conservateur émérite du Philadelphia Museum of Art, l’un des organisateurs de cette rétrospective avec Stefano Casciu, directeur régional des Musées nationaux de Toscane, et Angelo Tartuferi, ancien directeur du Musée de San Marco. Elle débute donc au Musée de San Marco qui abrite la plus grande collection d’œuvres de Fra Angelico. Elles ont été pour la plupart transférées au Palazzo Strozzi pour l’occasion, mais on peut y admirer in situ les fresques des quarante-trois cellules des moines décorées par le peintre dominicain, entre 1438 et 1443. Pensés pour la méditation des frères, ces décors culminent avec la fresque de l’Annonciation, considérée comme l’œuvre la plus emblématique de l’artiste.
Plus de 140 autres sont rassemblées au Palazzo Strozzi provenant de 70 musées et collections internationales dont la galerie des Offices, les Musées du Vatican ou encore les collections royales britanniques. L’exposition a nécessité plus de quatre années de travail pour parvenir à un véritable exploit technique : reconstituer la Pala di San Marco, commandée par Cosme de Médicis pour le maître-autel de l’église du couvent florentin, démantelée et dispersée à la suite de la suppression des ordres religieux par Napoléon. Dix-sept de ses dix-huit panneaux sont pour la première fois réunis depuis plus de deux siècles, grâce aux prêts exceptionnels du Louvre, de la National Gallery de Washington, de l’Alte Pinakothek de Munich et de la National Gallery of Ireland de Dublin.
Le parcours de l’exposition est structuré en huit sections chronologiques et thématiques, traçant l’évolution stylistique du peintre, de ses débuts à Florence jusqu’à sa période romaine (1445-1455). Mais le cœur de la rétrospective sont les grandes commandes de retables, essentielles dans l’œuvre de Fra Angelico. Une scénographie discrète et élégante souligne le caractère novateur des retables de Fiesole, de Bosco ai Frati, mais surtout la Descente de Croix dite Strozzi, panneau principal du Retable de Santa Trìnita réalisé avec Lorenzo Monaco (1370-1425). Il a fait l’objet d’un minutieux travail de restauration (à l’instar d’une trentaine d’œuvres présentées) et accueille le visiteur qui prend alors conscience de la rupture artistique à laquelle Fra Angelico a pleinement contribué. Le recours à la perspective linéaire pour organiser l’espace, le réalisme inédit des personnages, le traitement des drapés par un clair-obscur subtil leur conférant une densité sculpturale éloignée des traditionnelles formes longilignes du gothique tardif… Fra Angelico a fait siennes les innovations stylistiques de la nouvelle ère artistique. Il a su les concilier avec l’éclat chromatique et l’usage de l’or du gothique tardif que l’on constate dans ses Madones d’humilité ou ses prédelles (parties inférieures des retables). Ces petits panneaux illustrent l’habileté narrative de Fra Angelico, où il applique les nouvelles découvertes de la perspective et de la lumière à des scènes foisonnantes de détails et de vie quotidienne. Bien que les fresques de la chapelle Nicoline au Vatican ne puissent être déplacées, l’exposition s’attarde néanmoins sur sa période romaine (1445-1455) par des dessins et des études préparatoires d’œuvres qui témoignent de son travail pour les souverains pontifes Eugène IV et Nicolas V au service d’un humanisme chrétien. Il sera difficile après cette exposition de ne pas faire entrer Fra Angelico dans le cénacle des maîtres fondateurs de la Renaissance où siège déjà son contemporain Masaccio.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°664 du 31 octobre 2025, avec le titre suivant : Florence réévalue Fra Angelico





