Mode

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Et « Vogue » créa la Parisienne

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 2021 - 769 mots

PARIS

Le Palais Galliera retrace un siècle d’histoire du magazine. Assimilé aux grands noms de la photographie de mode, « Vogue Paris » a forgé l’image de la capitale à travers celle de l’élégance à la française.

Paris. Étrange ironie des temps : alors que le Palais Galliera retrace les 100 ans de l’édition française de Vogue, Condé Nast International, son éditeur, substituait en novembre le mot « France » à celui de « Paris » en couverture du magazine de mode. Placé désormais sous le contrôle de l’édition américaine et de sa rédactrice en chef Anna Wintour, le titre entame un virage éditorial et idéologique confié à une head of editorial content (« responsable du contenu éditorial »), Eugénie Trochu. Son recrutement est trop récent pour figurer dans la partie de l’exposition consacrée aux portraits de celles et ceux qui ont dirigé Vogue Paris depuis sa création le 15 juin 1920.

Clap de fin donc pour « le seul magazine du groupe Condé Nast à avoir porté le nom d’une ville et non celui d’un pays », comme le rappelle Sylvie Lécallier, chargée de la collection photographique du Palais Galliera et commissaire d’une belle rétrospective qui ne laisse rien percevoir de cette réorganisation, si ce n’est en évoquant le départ, en mai 2021, d’Emmanuelle Alt, rédactrice en chef de Vogue Paris depuis 2011. Certes, on peut ignorer cette histoire récente, mais elle permet de s’intéresser aux relations entretenues par Vogue Paris avec New York et à leur impact sur le contenu du magazine. D’autant qu’au Palais Galliera ce volet est fort bien expliqué et documenté, du moins jusqu’aux années 2000, le catalogue fournissant une somme d’analyses, période par période.

Reste que cette rétrospective développée chronologiquement convoque nombre de domaines (la presse, la mode, l’illustration, la photographie, le graphisme, la société…), et foisonne d’œuvres, et de documents, issus pour la plupart des archives du magazine, suscite l’intérêt et démultiplie les lectures, soutenues par des cartels explicatifs clairs et synthétiques. Une seule visite ne peut suffire à appréhender cette histoire. Mais tirer le fil de l’indépendance de Vogue Paris vis-à-vis de sa maison mère y aide.

Bourdin, Penn, Klein, Newton

Dès la période 1920-1938, Vogue Paris est en effet« pensée surtout comme un avant-poste artistique et culturel, et moins dans un objectif de rentabilité, explique dans le catalogue Marlène Van de Casteele, conseillère scientifique. La nouvelle édition vient ainsi tisser un lien fécond avec les couturiers, les artistes et les écrivains parisiens pour alimenter, en talents et contenus, les autres revues du groupe telles que Vanity Fair et House & Garden.»« Cette dépendance envers Paris comme arbitre des élégances et du goût pour tout ce qui a trait aux arts, aux mondanités et à la mode » fluctuera ensuite selon les époques et les rédactions de part et d’autre de l’Atlantique. Le magazine a véhiculé longtemps une image de la Parisienne et de la femme, comme une vision de la capitale. Dans les années 1920 à 1955 se sont aussi écrites quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de la photographie de mode. De Man Ray ou Horst P. Horst à Robert Doisneau, Willy Ronis, Sabine Weiss ou Henry Clarke, le contenu photographique est indissociable de l’écriture visuelle et de la personnalité de l’auteur. La distinction photographie artistique, documentaire ou humaniste n’a pas encore créé de clivage ni de hiérarchie. L’incandescence des années 1955-1980 portée par Guy Bourdin, William Klein, Irving Penn, Helmut Newton, Richard Avedon, David Bailey, Sarah Moon, Jeanloup Sieff, Daniel Jouanneau ou Patrick Demarchelier ne manquent pas d’audace. En noir et blanc ou en couleurs, leurs approches respectives sont identifiables. Les budgets de production flambent. Vogue Paris connaît son âge d’or tout en devenant « un magazine de niche qui traduit les préoccupations d’une sphère restreinte de professionnels et/ou de créatifs des industries de la mode et de la presse, auprès de qui le magazine trouve un accueil enthousiaste », note la chercheuse Alice Morin dans le catalogue. « Ce petit cercle, souvent mondain et porté à l’entre-soi, évolue au sein de son propre paysage » avec des messages équivoques ou contradictoires sur la femme, portés quasi exclusivement par des hommes, photographes stars.

De 1987 à 2000, Peter Lindbergh, Dominique Issermann, Jean-Baptiste Mondino ou Mario Testino signent d’autres pages marquantes d’un magazine avant que les années 2000-2020 ne voient les stylistes asseoir leur pouvoir, l’autorité du photographe sur l’image produite perdre de sa suprématie. Le magazine perdra aussi un peu de son aura, comme la photographie de mode qui semble désormais relever de la standardisation et globalisation de la mode, des goûts et d’une vision de la subversion codée, marketée. Ce qu’illustre fort bien en creux la part congrue réservée par l’exposition à cette dernière période.

Vogue Paris 1920-2020,
jusqu’au 30 janvier 2022, Palais Galliera, Musée de la mode de la Ville de Paris, 10, avenue Pierre-Ier-de-Serbie, 75016 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°579 du 10 décembre 2021, avec le titre suivant : Et « Vogue » créa la Parisienne

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