Photographie

Irving Penn, maestro du portrait

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 11 août 2023 - 580 mots

DINARD

Exposées à Dinard, ses mises en scène volontairement sommaires ont libéré la relation du photographe au modèle.

Dinard (Ille-et-Vilaine). Irving Penn (1917-2009) a été le premier photographe historique à entrer dans la Collection Pinault. Depuis l’acquisition en 2007 du portrait d’un couple d’enfants en haillons de Cuzco (Pérou), les achats se sont multipliés, faisant de François Pinault l’un des principaux collectionneurs de Penn. La monographie présentée en 2014 au Palazzo Grassi, à Venise, déploya toutes les facettes de la carrière du légendaire photographe américain. Dinard réunit aujourd’hui un florilège de portraits de célébrités datant de ses débuts jusqu’aux années 2000. Seule l’une des pièces de la villa Les Roches brunes, réservée aux débuts, souscrit à la chronologie, avec des « Corner Portraits » passés à la postérité : Marlene Dietrich, Dalí, Georgia O’Keeffe, Duchamp ou Hitchcock, d’autres étant moins connus, tels Maurice Chevalier ou Louis Armstrong. Réalisés entre 1946 et 1948, ces portraits de personnalités coincées entre de cloisons mises bout à bout ont fait la réputation de Penn et marqué sa rupture avec les mises en scène sophistiquées alors en vigueur. Ils tranchent même avec le portrait d’Yves Tanguy dans son atelier, datant de 1944, lequel, bien que remarquable dans le traitement de ses volumes et son tirage dans un camaïeu de gris, offre une vision classique et picturale du genre.

La célèbre commande de « Vogue »

Lorsqu’en 1946 Alexander Liberman, directeur artistique de Vogue, demande à Irving Penn de faire une série de portraits de personnalités, il souhaite enrichir les pages culturelles du magazine et soutenir son assistant dans l’émergence de son talent. New York, ville refuge pendant la guerre des artistes et intellectuels européens, connaît alors une vie culturelle bouillonnante. Pour cette série de portraits, Liberman met à disposition de Penn un studio où se succéderont pendant trois ans celles et ceux qui font le monde artistique, politique, économique et financier ou mondain des États-Unis de l’après-guerre. Ce minimaliste dans la prise de vue révolutionne les codes de la représentation et favorise par là-même des attitudes, expressions et traits de caractère qui font réagir les intéressés. Ainsi Georgia O’Keeffe demandera-t-elle la destruction de son portrait.

Ce décor déjà épuré sera réduit par la suite à une simple toile de fond grise ou à un vieux tapis posé au sol, par-dessus des boîtes ou des tables éclairées de manière à faire affleurer leur texture. Par ce mode opératoire simple et efficace, peut se jouer la rencontre du photographe avec son modèle, et inversement. D’une décennie à l’autre, aux portraits sur pied s’ajoutent au cours des années 1950-1960 des portraits en buste avec des plans rapprochés sur le visage qui, pour certains, dessinent un rapport de force ou un jeu entre les protagonistes. Œil perçant de Picasso ou œil derrière son monocle de Barnett Newman, une cigarette à la main : c’est l’autorité propre à chacun qui se lit ici. Bacon, Louise Bourgeois, Colette, Chagall, Cocteau, Richard Avedon, Cecil Beaton, Truman Capote… : nombre de portraits sont connus dans les 74 tirages au platine ou sur papier argentique exposés. D’autres images, méconnues, comme celles truculentes de Joséphine Baker ou de Zizi Jeanmaire, expriment la part rayonnante de leur personnalité. Mais le visage sévère de la romancière britannique Ivy Compton-Burnett (1884-1969) ne s’oublie pas non plus.

Penn n’est jamais sorti des commandes de la presse, qui lui offraient tout ce qu’il désirait. Si, à partir des années 1980, ses portraits perdent de leur caractère, demeure la qualité rare du tirage sur laquelle Penn ne transigea jamais.

Irving Penn. Portraits d’artistes. Photographies de la Collection Pinault,
jusqu’au 1er octobre, villa Les Roches brunes, 1, allée des Douaniers, 35800 Dinard.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Irving Penn, maestro du portrait

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque