Art moderne

XIXE-XXE SIÈCLE

Et Versailles sortit de sa torpeur…

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 23 décembre 2019 - 846 mots

VERSAILLES

Du second Empire à la Seconde Guerre mondiale, le domaine de Versailles retrouva son luxe pour séduire, voire envoûter artistes, écrivains et mondains. Un sujet inédit qui mêle agréablement le kitsch à l’érudition.

Versailles. Après le séisme que fut pour lui la fin de l’Ancien Régime et la mort de Louis XVI et de Marie-Antoinette, le château de Versailles resta à l’abandon. Louis-Philippe en fit un musée. Il fallut attendre le Second Empire pour que le palais se réveille et devienne, pour nombre d’artistes, un objet de passion et d’inspiration, ce jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. C’est ce « revival » que racontent les commissaires, Laurent Salomé, directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, et Claire Bonnotte, collaboratrice scientifique, dans une belle scénographie signée Hubert Le Gall. Pour ce faire, ils ont mené de longues recherches, fouillé des réserves et exploré des collections privées, réunissant 334 œuvres et documents.

Ce qui est passionnant, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’histoire du goût ou de l’utilisation politique d’un symbole français, mais aussi de mythologie. Tous ceux qui se sont emparés de l’image du palais, et parfois de son destin, entre 1867 et 1937, l’ont interprété à leur façon, lui ont accordé des pouvoirs quasi magiques, en ont fait un lieu de désir et de poésie. Si les foules se pressent aujourd’hui dans ses salles, c’est sans doute, inconsciemment, pour vivre à leur tour ce rêve. Et il est amusant de constater que le kitsch dont sont demandeurs nombre de visiteurs contemporains existe depuis les débuts de cette renaissance. D’ailleurs, l’exposition commence par là…

Elle s’ouvre en effet sur une décoration réalisée en 1928 par Lucien Jonas pour l’hôtel-restaurant La Croix d’or à Soissons (Aisne). Acquise récemment par le musée-ancienne abbaye Saint-Léger de la ville, cette mise en scène de personnages du XVIIIe siècle dans L’Escarpolette et La Musique et la danse n’a pas encore été montrée au public et a été en partie restaurée pour l’exposition. Le décor en est le parc du château à l’automne, saison que nombre de peintres ont liée à ce lieu. Dans la même salle, L’Hiver (Petit Trianon) [vers 1929] de Lucien Lévy-Dhurmer, est une évocation rêveuse du domaine déserté, coloration nostalgique dont l’esprit du « Versailles revival» est, selon Laurent Salomé, largement marqué.

En 1867 fut organisée au Petit Trianon une exposition dédiée à la reine Marie-Antoinette sous le regard attentif de l’impératrice Eugénie, passionnée par la souveraine déchue. C’est par le souvenir de cet événement que s’ouvre le propos chronologique, avec la reconstitution de l’évocation de la chambre de la Reine qui avait été alors présentée. « Il est très savoureux de voir comment on s’imaginait cette chambre à l’époque », s’amuse le commissaire. En effet, le lit est de style « Louis XVI impératrice », typique du Second Empire.

« Le fantasme et les délires de l’art historiciste » sont ensuite abordés, y compris dans le cinéma dont les débuts ont produit de petits films au décor d’un Versailles de pacotille. La toile Le Bain des dames de la cour au XVIIIe siècle (1886) de François Flameng avait été acquise par le tsar Alexandre III et est aujourd’hui prêtée par l’Ermitage. Le Russe Alexandre Benois (1870-1960), qui fut conservateur de ce musée, était un passionné du château et réalisa de nombreuses gouaches mêlant l’historicisme au fantasme. Un ensemble important de ces œuvres est présenté pour la première fois en France, parmi lesquelles Le Bain de la marquise (1906), qui est reproduit pour l’affiche de l’exposition.

Proust, Barrès, Anna de Noailles…

Le parcours, ensuite, « bascule dans le réel et montre l’autre raison pour laquelle Versailles est redevenu un cœur symbolique de la France quand l’actualité politique s’est saisie du château, explique Laurent Salomé. Si la proclamation de l’empire allemand n’avait pas eu lieu ici, dans la galerie des Glaces, ce serait peut-être un vieux château dont plus personne ne parle ». Pour illustrer ce propos, la famille Bismarck a prêté le tableau La Proclamation de l’Empire allemand (1885) d’Anton von Werner qui est montré pour la première fois en France. Dans la même salle est présentée la toile d’Alfred Roll Fête du centenaire des États généraux au bassin de Neptune, le 5 mai 1889 (1893), peinte aux dimensions de la salle du Sacre et roulée depuis qu’elle en a été décrochée, en 1947.

Viennent ensuite les projets de restauration et le travail des conservateurs du domaine, parmi lesquels Pierre de Nolhac de 1892 à 1920. Premier président de la Société des amis du musée, le dramaturge Victorien Sardou fait partie des nombreux gens de lettres qui ont trouvé l’inspiration à Versailles. L’exposition évoque Marcel Proust, Maurice Barrès, Anna de Noailles, ainsi que des musiciens et des personnalités mondaines tels Anna Gould et son mari, Boni de Castellane, Robert de Montesquiou et sa nièce, Élisabeth Greffulhe. Versailles a aussi été copié par de richissimes Français et étrangers pour leur domicile et leurs fêtes, et par une multitude de peintres. L’exposition et le gros livre qui l’accompagne éclairent ce domaine de recherche inédit jusqu’ici, ouvrant un nouvel angle de vue sur le château le plus connu au monde.

Versailles Revival, 1867-1937,
jusqu’au 15 mars 2020, château de Versailles, salles d’Afrique et de Crimée, place d’Armes, 78000 Versailles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°535 du 13 décembre 2019, avec le titre suivant : Et Versailles sortit de sa torpeur…

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