Art moderne

Edward Hopper - L'essence de l'Amerique

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 6 août 2012 - 892 mots

Le Grand Palais accueille la première rétrospective d’envergure consacrée à Hopper en France. De sa découverte de l’Europe à son retour à New York, retour sur la carrière du peintre.

Inaugurés tous deux en novembre, à deux ans d’écart, l’un en 1929, l’autre en 1931, le Museum of Modern Art de New York et le Whitney Museum of American Art se sont très vite imposés au fil du temps comme des institutions incontournables. Si l’exposition d’ouverture du premier, organisée par son jeune directeur, Alfred Barr, et consacrée à Cézanne, Gauguin, Seurat et Van Gogh, connut un succès considérable, le fonds du musée était alors loin d’être ce qu’il allait devenir. On y relevait tout juste un bronze de Maillol, Île-de-France, un Picasso, quelques œuvres de Charles Burchfield et de Kenneth Hayes Miller, quelques gravures et dessins, enfin une importante toile d’Edward Hopper, House By the Railroad (« Maison le long du chemin de fer ») de 1925. Un tableau culte aujourd’hui car il est non seulement l’un des chefs-d’œuvre du peintre, mais l’une des références majeures du cinéma d’Hitchcock. Le cinéaste s’est en effet directement inspiré de cette maison, sise à Haverstraw, à New York, pour en faire le lieu du drame de Psychose.

Le Whitney Museum ouvra quant à lui ses locaux avec la collection de sa fondatrice, Gertrude Vanderbilt, laquelle comptait quelque cinq cents œuvres d’artistes américains, parmi lesquels John Sloan, Stuart Davis, Reginald Marsh, Charles Demuth et… Edward Hopper. Ceux-là mêmes qui ont contribué à fonder les termes d’une esthétique identitaire américaine au cours de la première moitié du XXe siècle.

L’âme de l’Amérique
Définitivement installé à New York dès 1908, il commence par travailler comme illustrateur et dessinateur publicitaire, puis participe à quelques expositions de groupe à l’Harmonie Club et au Mac Dowell Club. Il lui faudra attendre cependant le milieu des années 1910, alors qu’il a établi son atelier à Washington Square, pour être repéré par la critique, mais ce n’est qu’en 1920 qu’il fait sa première exposition personnelle au Whitney Studio Club. L’enthousiasme de Gertrude Vanderbilt est vite contagieux et permet à Hopper de gagner de la notoriété. Marié en 1924 avec Josephine Verstille Nivison, qui est aussi peintre, il va s’imposer au pire moment de l’histoire des États-Unis comme l’artiste qui dépeint le mieux ce que ressentent les Américains plongés dans la dépression.

À la différence de ses collègues régionalistes, tels Thomas Hart Benton ou Grant Wood, Edward Hopper transcende le local pour instruire son œuvre d’une dimension poétique dont la représentation humaine, qu’elle soit figurée, suggérée ou absente, est le motif primordial de son art. Si c’est l’âme de l’Amérique qui transparaît et si quelque chose d’une lenteur et d’une mélancolie n’est pas éloigné de l’atmosphère d’un roman comme Main Street de Sinclair Lewis, c’est que Hopper est un parfait analyste de la solitude écrasante qui plane sur les petites villes. Plus encore parce qu’il est par excellence le peintre du silence et du vide.

Bords de mer déserts, phares se dressant contre un vaste ciel bleu, maisons fermées après la saison d’été, vues urbaines que rien ne trouble, intérieurs de chambres d’hôtel…, l’art d’Edward Hopper décline tout un monde de situations en suspens où prennent place des personnes seules. Cette thématique de la solitude et de la vacuité est apparue très tôt dans son œuvre – Summer Interior (1909), Road in Maine (1914) –, elle connaît son acmé avec certaines œuvres comme Night Windows (1928), Early Sunday Morning (1930), Hotel Room (1931) ou Room in New York (1932). Alfred Barr, le jeune directeur du MoMA, notait que « Hopper, malgré son réalisme, est un maître du drame pictural ». De fait, l’ordonnancement de ses compositions, le réglage de ses lumières, les rôles attribués à ses « acteurs », tout procède chez ce peintre d’une mise en scène savamment élaborée.

Romantique et lyrique
En 1928, Edward Hopper rédige un texte à propos du travail de son « confrère », Charles Burchfield, qu’il appréciait particulièrement : « De ce qui n’est, pour un artiste médiocre, que l’ennui de la vie quotidienne dans une petite ville de province, il a su extraire une qualité que l’on pourrait appeler poétique, romantique, lyrique. » Curieusement, il semble que Hopper parle de sa propre pratique ! Il peut paraître osé de vouloir qualifier son œuvre de romantique et de lyrique, car ni la touche ni les couleurs ne relèvent chez lui de l’un ou de l’autre de ces deux qualificatifs, mais le traitement de la lumière le justifie. Claire, voire parfois crue, elle est l’expression d’une présence au sein d’espaces où tout est dans l’attente de l’imprévisible.

Passé la Seconde Guerre mondiale, le thème de la solitude se charge d’une nouvelle mesure existentielle dans une réflexion intérieure sur la mort, et les peintures de Hopper s’offrent à voir comme des vanités. La figure humaine y est de plus en plus enfermée dans des espaces clos dont le cadre matériel s’inscrit en critique d’un monde moderne déshumanisé. Hotel Lobby (1943), Morning Sun (1952), Office in a Small City (1953), Chair Car (1965)… : ce sont là autant d’œuvres où le découpage des plans et les jeux de lumière suggèrent un effet de quasi-aliénation. Ses personnages se font volontiers plus petits et ne semblent plus être que de simples figurines désincarnées. Comme un signal d’alerte sur l’évolution de la condition humaine.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : Edward Hopper - L'essence de l'Amerique

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