Photographie

Edward Hopper et ses suiveurs

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 6 août 2012 - 686 mots

Nombre d’artistes, au premier rang desquels des photographes, s’inscrivent dans la continuité de la leçon de l’Américain. De manière consciente ou non.

La peinture d’Edward Hopper étant reconnue pour son intemporalité, il n’est pas surprenant de retrouver son influence jusque dans l’art contemporain. Référence le plus souvent implicite pour ne pas dire subconsciente. Le recours à la peinture de l’Américain a d’ailleurs fait l’objet d’une exposition à la Kunsthalle de Vienne en 2007, « Western Motel », du nom d’une toile de 1957, croisant son œuvre avec celle d’artistes contemporains.

En 2007, un seul peintre, Tim Eitel, et une dizaine de photographes et vidéastes ont été invités pour incarner la postérité et la contemporanéité de ce franc-tireur. Parmi eux, Jeff Wall, Ed Ruscha, Thomas Demand, David Claerbout et ses vidéos statiques et mutiques, et Philip-Lorca diCorcia et ses images elliptiques. Ce sont d’ailleurs les compositions de ce dernier que Didier Ottinger a choisies pour dialoguer avec les œuvres de Hopper au cœur du parcours de l’exposition parisienne, un diaporama d’où se détache une puissante série, Hustlers, du nom qui désigne ces prostitués qui travaillent sur Santa Monica Boulevard à Los Angeles.

Les personnages génériques de Philip-Lorca diCorcia
Entre 1990 et 1992, à la faveur d’une bourse fédérale, le photographe américain engage ces travailleurs pour des mises en scène statiques et refroidies, souvent en situation d’attente. Le titre précise toujours leur identité, leur ville d’origine puis le montant dont a dû s’acquitter l’artiste pour leur chaste collaboration. Si ces images plombées évoquent si puissamment celles de Hopper, c’est moins par le protocole (qui aurait même une certaine tendance à l’anecdote) que par la lumière. Dans la composition d’Eddie Anderson; 21 Years Old; Houston, Texas; $20, le jeune homme, hébété, est puissamment éclairé par le soleil couchant sur la droite, se détachant sur un ciel azur qu’aucun nuage ne vient perturber (Hopper lui-même détestait les nuages). Il apparaît derrière la devanture graisseuse d’un fast-food glauque. Une seconde source lumineuse provient de l’intérieur du restaurant, du côté gauche, et vient littéralement heurter les objets du comptoir de « dégustation ».

Si Eddie nous livre bien son nom, la photographie, elle, nous montre un être sans substance, générique. À la Hopper. Ce qui forge son identité s’est évanoui derrière la construction autoritaire de Philip-Lorca diCorcia. Le conservateur de la photographie du MoMA, Peter Galassi, n’avait-il pas qualifié de telles images de « moments suspendus dans un récit en développement » ?
C’est cette même « qualité » et parenté avec les œuvres du peintre américain que l’on retrouve dans certains clichés de A Storybook Life. Mario, 1978 montre en effet un homme circonspect, comme vide, devant son frigo plein comme un œuf. Mais la série la plus confondante, Cuba Livre, a été réalisée en 2000 pour le magazine de mode W – autre point commun avec Hopper l’illustrateur. Le mannequin y est mis en scène dans un bureau, sur un lit, dans un bar, dînant ou prenant un café, situations parfaitement hopperesques.

Ceux qui se revendiquent du peintre
Mais Philip-Lorca diCorcia n’admet que du bout des lèvres l’influence de Hopper sur ses images, tout l’inverse du duo Clark et Pougnaud qui, en 2000, réalise un hommage photographique à Hopper exposé à la Maison européenne de la photographie. « Nous avons été séduits par le cadrage, la lumière, la mise en scène des tableaux d’Edward Hopper. Nous n’avons pas cherché à reproduire ses tableaux, mais à nous en inspirer plus ou moins », déclarent-ils alors. Ces remises en scène soulignent avec clarté la proximité entre certaines des constructions du peintre et le théâtre, où les éclairages latéraux tranchés jouent le rôle principal. Autre artiste à avoir cédé aux sirènes de l’hommage et de la reconstitution, l’Allemand Gustav Deutsch. Celui-ci a fait des tableaux vivants d’après Morning Sun, Night Window, Office at Night pour l’installation Visions of Reality en 2008.
Ce qui séduit ces artistes chez Hopper ? Ils ne le disent pas vraiment. Peut-être ce désabusement vis-à-vis du mirage de la modernité et cette façon de jouer le réel par effets de surface contribuent-ils à la contemporanéité de ce grand silencieux.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°649 du 1 septembre 2012, avec le titre suivant : Edward Hopper et ses suiveurs

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