Créüse consumée par la robe empoisonnée

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 16 mars 2011 - 368 mots

La Médée de Jean-François de Troy est le plus grandiloquent de tous les tableaux exposés, annonçant le chant du cygne d’un genre ou d’une manière qui s’éteindra avec la disparition de ses promoteurs.

Cette huile sur toile de grand format est un carton de tapisserie appartenant à un cycle sur l’histoire de Jason. Alors directeur de l’Académie française à Rome, Troy a à cœur de montrer sa virtuosité. Il reprend un épisode particulier de la longue épopée tragique de la magicienne Médée, en général plus connue pour avoir tué ses enfants, et dont Corneille avait tiré une pièce cent ans plus tôt.

Jason et Médée sont réfugiés à Corinthe après plusieurs péripéties. Or Jason tombe amoureux de Créüse, la fille de Créon, le roi de Corinthe. Jason et Créon s’entendent pour bannir Médée qui se venge en offrant une robe empoisonnée à Créüse. La scène dépeint le moment précis où Créüse se meurt alors que son père, en tentant de la sauver, succombe lui aussi au poison.

Toute la palette des sentiments humains
La vengeance, une femme maléfique ou l’ambivalence des situations traversent une bonne partie des toiles de l’exposition. Ces thèmes offrent à leurs auteurs, et particulièrement ici, toute la palette des sentiments humains les plus expressifs. On retient la souffrance ambiguë de Créüse – son visage et sa poitrine découverte peuvent aussi marquer une pâmoison heureuse –, la douleur héroïque de son père, l’affolement et la terreur des servantes, jusqu’au visage caché de Jason, un stratagème pour ne pas avoir à représenter le comble de l’horreur. Curieusement, Médée est absente de la scène, cela aurait pourtant permis à Jean-François de Troy de peindre le masque de la vengeance.

Ce tableau d’histoire démontre toute l’inventivité d’un genre qui mérite bien son adjectif. On peut aujourd’hui ne pas aimer cette grande machine emphatique mais, pour l’époque, c’est un morceau de bravoure. Chaque personnage fait entendre sa propre musique au service d’une même partition. Les vêtements, le décor, les attitudes témoignent de longues recherches documentaires et formelles. Le thème, enfin, qui s’il est muet pour nos générations d’aujourd’hui ne devait pas plus parler à la masse du tiers état de l’époque, appartient pourtant aux textes fondateurs de notre civilisation occidentale.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°634 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Créüse consumée par la robe empoisonnée

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