Art ancien

XVIIE SIÈCLE / EXPOLOGIE

Cassel réhabilite la peinture à quatre mains

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2025 - 656 mots

Le Musée de Flandre propose une exposition inédite sur les échanges entre Jan Brueghel l’Ancien et Hendrick van Balen.

Cassel (Nord). Pour le marché de l’art actuel, rien n’est plus précieux qu’une œuvre que l’on puisse attribuer à un seul et unique artiste. Aucune « école de », « atelier de », ni même une collaboration entre deux stars n’égaleront une œuvre autographe. « Un tableau uniquement de la main de Jan Brueghel l’Ancien coûte plus cher qu’un tableau pour lequel il a fait appel à un autre peintre. Mais il se pourrait qu’il en eût été autrement au XVIIe siècle », note Filip Vermeylen, professeur à l’université de Rotterdam, dans le catalogue de l’exposition « Brueghel & Van Balen, artistes et complices ».

Au siècle de Rubens, de Frans Snijders et de Jan Brueghel l’Ancien, ces peintures à deux signatures sont pourtant très recherchées sur le marché de l’art hollandais, et particulièrement anversois. Pour évoquer les 400 ans de la disparition de Jan Brueghel (1568-1625), le Musée de Flandre explore la plus prolifique des relations professionnelles entretenues par le fils de Peter Bruegel l’Ancien. Jan travaillera en effet beaucoup avec Hendrick van Balen (1575-1632), un artiste au carnet de commandes très plein de son vivant et cependant aujourd’hui oublié, soit un type de profil que le musée aime remettre en lumière.

Des collaborations occultées par l’histoire de l’art

Le petit musée nordiste s’est fixé deux objectifs ambitieux : réveiller le souvenir d’un grand peintre de figures tombé en désuétude, et faire comprendre au public le fonctionnement d’une collaboration artistique au XVIIe siècle. Ce fait historique, longtemps occulté dans l’histoire de l’art par la vision romantique de l’artiste démiurge, a refait surface avec un ouvrage collectif paru en 2021 (1). L’occasion pour cette exposition d’explorer la brèche ouverte.

Ce sujet passionnant des collaborations n’est toutefois pas exploité pleinement par le Musée de Flandre, qui choisit un déroulé très sage – peut-être dans l’objectif louable ne pas égarer le public non spécialiste. Présentation de Jan, présentation d’Hendrick, puis tableaux réalisés à quatre mains : cette construction permet d’identifier parfaitement la manière de l’un, la touche de l’autre, et qui fait quoi dans les œuvres collectives. L’éclairage sur le « comment » de ces collaborations aurait en revanche pu être un peu plus fouillé.

En feuilletant le catalogue de l’exposition, le visiteur comprendra que la recherche a plus de questions que de réponses : tant sur la commande que sur la réalisation de ces co-créations, le désintérêt de l’histoire de l’art pendant plusieurs siècles laisse surnager de vastes zones d’ombre. Par-delà ces incertitudes, le parcours aurait pu profiter de l’occasion pour remettre frontalement en cause le mythe de l’artiste unique, et aussi pour décrire le fonctionnement du marché de l’art à Anvers, ville où les collectionneurs étaient très friands de ces tableaux à quatre mains.

Considérées séparément, les deux parties monographiques de l’exposition réservent de très belles surprises : pour Jan Brueghel l’Ancien, six superbes peintures sur cuivre appartenant à un même cycle ici réunies, mais aussi 16 petites miniatures sur vélin. La salle consacrée à Van Balen permet, elle, de découvrir ce peintre, peu connu malgré sa présence dans les collections françaises. De grands formats, des peintures de corps prenant quelques libertés avec l’anatomie pour mieux appuyer l’expressionnisme : il s’agit presque de l’antithèse de la manière minutieuse et observatrice de Brueghel.

Le mariage de ces deux styles est étonnamment harmonieux, comme dans Les Noces de Thétis et de Pelée, un sujet mythologique dont les figures de Van Balen s’épanouissent dans un paysage de Bruegel. Plus spectaculaires encore que les scènes allégoriques ou mythologiques, les peintures décoratives réalisées de concert démontrent toute la force de ces collaborations. Le musée a ainsi réservé une place de choix à une Guirlande de fruits entourant une représentation de Cybèle [voir ill.] dans le parcours : une véritable démonstration de force du peintre de détails et de paysages, comme du peintre de figures.

(1) , Abigail D. Neuman, Lieneke Nijkamps (éd.).

Brueghel & Van Balen, artistes et complices,
jusqu’au 28 septembre, Musée de Flandre, 26, Grand’Place, 59670 Cassel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°657 du 6 juin 2025, avec le titre suivant : Cassel réhabilite la peinture à quatre mains

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