Diplomatie culturelle - Patrimoine

PATRIMOINE OUZBEK

L’Ouzbékistan mise sur la culture pour soigner son image

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2022 - 1238 mots

OUZBÉKISTAN

Après 25 ans de règne de l’autocrate Islam Karimov, l’Ouzbékistan s’appuie sur son riche patrimoine culturel et religieux, pour développer l’activité touristique : une ambition qui se heurte à un manque de compétences, auquel pallient des professionnels français.

La place du Registan à Samarcande. © Ekrem Canli, 2012, CC BY-SA 3.0
La place du Registan à Samarcande.
© Ekrem Canli, 2012

Ouzbékistan. À Samarcande, les trois madrasas (écoles coraniques) du Régistan [ancien cœur de la ville] forment l’attraction touristique majeure du pays. Centre politique, intellectuel et religieux de l’Empire timouride au XVe siècle, cette large place [voir ill.], encadrée des trois façades recouvertes de briques émaillées de bleu, résonne aujourd’hui des pas de visiteurs locaux, de touristes européens ou de pèlerins venus des pays musulmans. Aménagé par l’État ouzbek, le site inscrit à l’Unesco – désormais coupé de la vieille ville par son aménagement, et à l’entrée payante – condense les ambitions touristiques du pays : un développement rapide, qui vise à la fois une construction identitaire nationale post-soviétique, un tourisme religieux et des voyageurs internationaux avides de découvertes culturelles. Au fond de la madrasa d’Ulugh Begh, la plus vieille des trois, la mosquée semble toujours être en activité, malgré l’exploitation touristique des lieux : deux hommes font face au mirhab (la niche qui indique la direction de La Mecque) en position de prière, insensibles au marchandage des échoppes de souvenirs implantées sous le même toit, à deux mètres des fidèles.

Dans la grande cour de cette madrasa, les cellules qui accueillaient les étudiants sont désormais toutes occupées par des vendeurs d’artisanat local plus ou moins authentique. Le lieu était pourtant un centre d’éducation et de savoir, comme le rappelle Gayane Umerova, directrice exécutive de la Fondation pour le développement des arts et de la culture. À la tête de cette fondation d’État depuis 2017, la trentenaire a lancé chantier sur chantier, au rythme des ambitions de l’État ouzbek. Aussi, devant le spectacle des vendeurs de porte-clefs, commence-t-elle à imaginer un centre culturel, avec des boutiques plus qualitatives.

Un nouveau régime politique ouvert à la culture

Créée par décret présidentiel il y a cinq ans, la fondation est l’un des symptômes du dégel relatif que connaît le pays depuis l’élection présidentielle de 2016. Après le décès du président Islam Karimov, qui dirigeait le pays en autocrate depuis 1991, c’est son ancien Premier ministre, Shavkat Mirziyoyev, qui lui succède. Il libéralise l’économie très étatique, ainsi que la pratique religieuse (jusqu’alors limitée par l’héritage soviétique), ouvre les frontières et libère journalistes et prisonniers politiques. Pour certains observateurs, le progrès ne doit toutefois pas masquer le chemin qui reste à parcourir : la démocratie ouzbèke reste partielle, interdisant aux partis politiques trop critiques l’accès au scrutin.

C’est dans ce contexte qu’apparaît la Fondation pour le développement des arts et de la culture, qui doit accompagner les ambitions touristiques et culturelles de ce nouvel Ouzbékistan. La présidente n’est autre que Saida Mirziyoyeva, fille du président Mirziyoyev. Ambassadrice de la culture ouzbèke, la présidente a inauguré les pavillons nationaux aux Biennales de Venise (d’art et d’architecture), une grande première pour le pays d’Asie centrale. Mais pour placer cet État semi-désertique de 30 millions d’habitants sur la carte culturelle mondiale, la Fondation mise avant tout sur le développement des institutions locales.

Un savoir-faire défaillant

De l’ère soviétique, l’Ouzbékistan a hérité d’un beau réseau de musées à l’architecture constructiviste de béton et de pierre, et aux collections qui puisent dans les richesses archéologiques de la région, comme dans ses arts décoratifs. Le pays souffre en revanche d’un manque d’investissement dans la formation des professionnels et dans la maintenance de ces lieux et de leurs collections. Les conditions de conservation préventive peuvent être préjudiciables dans certaines institutions, comme au musée de la citadelle de Boukhara, où cuirs et tissus sont soumis à des variations de températures extrêmes. Plus grave, le président lui-même prenait la parole, le 26 avril dernier, pour dénoncer « un vol massif d’artefacts dans les musées », ainsi que le rapportait le site Eurasianet. Quelque 3 000 objets auraient disparu des collections, souvent remplacés en vitrine par des faux. Au Musée national de l’histoire culturelle, tout proche du centre historique de Samarcande, les vitrines sont ainsi systématiquement scellées à la cire. Afin d’arrêter ces substitutions d’œuvres, le travail d’inventaire numérique lancé par la fondation devrait être plus efficace. Pour l’heure, c’est un chantier qui part de zéro, et où l’assistance de la société suisse Zetcom permet aux agents des musées ouzbeks de se familiariser avec l’utilisation des bases de données.

La Fondation multiplie les partenariats pour pallier les manques matériels, mais aussi de compétences dans les musées locaux. Ainsi, un laboratoire de conservation et restauration a pris place dans les réserves du musée de Samarcande, grâce à l’aide d’une fondation pour le patrimoine coréenne. Avec cet équipement flambant neuf, qui contraste avec la muséologie vieillissante, les conservateurs-restaurateurs français s’attellent au chantier de restauration d’une porte originelle du mausolée de Tamerlan. Ils prennent ainsi soin du patrimoine ouzbek, et transmettent aussi leur savoir-faire aux équipes locales qui les assistent.

À Tashkent, la capitale du pays, comme à Boukhara, oasis aux portes du désert, les collections profitent également de ces échanges internationaux. En effet, à la fin des restaurations menées par les équipes françaises (parmi lesquelles des pièces majeures de l’archéologie et du patrimoine tissé ouzbek), les œuvres seront présentées dans deux expositions au Musée du Louvre et à l’Institut du monde arabe, à Paris, en novembre prochain.

Pour ce pays d’Asie centrale, qui recherche à s’imposer comme le point d’équilibre régional depuis la mort d’Islam Karimov, c’est une vitrine idéale, avant le lancement des grands chantiers de la fondation. Le 17 mai dernier, le Studio KO (duo d’architecte français à qui l’on doit le Musée Yves-Saint-Laurent de Marrakech) présentait les plans du futur centre d’art contemporain de Tashkent. Un incubateur de la scène artistique locale, pour l’heure balbutiante. Le lieu investit une ancienne gare de tramway en brique datant de la période coloniale russe (début du XXe siècle) : un patrimoine jusqu’alors malmené, comme lors de l’aménagement touristique de Samarcande dans les années 2000, mais ici préservé sous la supervision d’une architecte du patrimoine française.

Des projets de musées gigantesques

Mais surtout, la capitale se dotera d’un Musée national d’art gigantesque (40 000 m2), dont les plans sont signés par japonais Tadao Ando. Au sud de la capitale, ce symbole du nouvel élan culturel remplacera le Musée d’histoire nationale, dont le superbe bâtiment soviétique accueillera en lieu et place de ses collections actuelles un centre consacré à l’architecture. Car la Fondation pour le développement des arts et de la culture fait également un pas vers la préservation du patrimoine du XXe siècle, en recensant les bâtiments les plus marquants hérités de l’URSS. Là aussi, grâce aux conseils des ingénieurs français du Laboratoire de recherche des monuments historiques de Champs-sur-Marne.

Le chantier du futur musée national devra être mené de front avec un autre projet conséquent, porté non pas par la fondation, mais par le président en personne : un centre de la civilisation islamique de 60 000 m2, dont 18 000 m2 d’exposition, qui hébergera, entre autres, une collection de 100 000 manuscrits anciens. Et ce sont des Français, le groupe Avesta et l’agence Wilmotte et Associés, qui en conçoivent la scénographie. Le lieu a pour ambition de promouvoir un Islam des humanités et de la connaissance, dans ce nouvel Ouzbékistan qui cherche à concilier renouveau islamique et ouverture sur le monde, et vise le tourisme religieux, en plein boom depuis 2017. Pèlerins ou touristes occidentaux, à chacun son musée.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : L’Ouzbékistan mise sur la culture pour soigner son image

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