Kazakhstan - Musée

Le Kazakhstan entre en scène

Fondé par Nurlan Smagulov, un oligarque local, l’Almaty Museum of Arts œuvre à renforcer la reconnaissance et la visibilité des artistes du pays comme de ceux de l’Asie centrale à l’échelle internationale.

Almaty (Kazakhstan). Inauguré le 12 septembre dans l’ancienne capitale et premier centre économique du pays, l’Almaty Museum of Arts constitue à ce jour l’initiative la plus ambitieuse en faveur de l’art contemporain au Kazakhstan. La ville abrite également le Tselinny Center of Contemporary Culture, autre institution privée, ainsi que l’Abylkhan Kasteyev National Museum of Arts, fondé en 1976 et actuellement fermé pour rénovation. Quelques galeries complètent ce paysage, dont Aspan, créée en 2015 par Meruyert Kaliyeva, qui est par ailleurs directrice artistique de l’Almaty Museum of Arts depuis le lancement du projet en 2020.

Nurlan Smagulov, propriétaire du musée, a fait fortune dans l’automobile à partir des années 1990, avant de se diversifier dans l’immobilier commercial dans les années 2000. Parallèlement, l’oligarque a constitué une collection d’environ 700 œuvres, axée sur les artistes du Kazakhstan et d’Asie centrale. D’abord attiré par les créateurs de sa propre génération (il est né en 1965), il s’est ensuite tourné vers la première moitié du XXe siècle, puis vers les artistes contemporains, y compris occidentaux. Son parcours illustre l’intérêt croissant de la société kazakhstanaise pour l’art et la redécouverte de sa culture vernaculaire, après une domination russe séculaire, de l’époque impériale à la chute de l’URSS.

Des traditions réinventées

Dessiné par l’agence britannique Chapman Taylor, le bâtiment d’une surface d’environ 10 000 m² propose de vastes espaces modulables et lumineux. Ses formes rappellent les montagnes environnantes, tout en réinterprétant l’héritage moderniste de l’époque soviétique. L’exposition temporaire est consacrée à Almagul Menlibayeva, originaire d’Almaty. Née en 1969 et membre dès 1987 du Green Triangle, groupe underground d’artistes d’Almaty, elle partage aujourd’hui sa vie entre Berlin et sa ville natale. Son œuvre est résolument plurielle : textile, peinture, sculpture, performance, photographie, vidéo, et plus récemment intelligence artificielle. Conçue par la commissaire indépendante thaïlandaise Gridthiya Gaweewong, cette rétrospective retrace les étapes du parcours de l’artiste, d’abord formée aux arts textiles dans les années 1980, un champ plus libre que la peinture et la sculpture alors soumises à la propagande soviétique. Sous le titre « I understand everything » (« je comprends tout »), d’après l’une de ses toiles de 1990, l’exposition met en perspective le choc de l’effondrement de l’URSS pour une jeune artiste qui prend alors conscience d’avoir été coupée du reste du monde comme de sa propre culture, longtemps marginalisée. Menlibayeva bouscule par ailleurs certains tabous, notamment celui de la nudité, à travers ses photographies et vidéos inspirées des mythologies indigènes eurasiatiques et des cultures nomades, parfois matriarcales, enracinées dans le tengrisme (ou tangraïsme), un système de croyances des steppes d’Asie centrale fondé sur l’animisme et le culte du dieu céleste Tengri. Elle réinvente ces traditions dans ce qu’elle appelle un « chamanisme punk-romantique » (punkromantic shamanism) aux accents féministes.

Brassages culturels

Dans la galerie de la collection permanente, l’exposition intitulée « Qonaqtar » (« invités ») et conçue par la conservatrice lettone Inga Lace souligne le rôle du Kazakhstan comme territoire de migrations et de brassages culturels. On peut ainsi comprendre la distinction entre « artistes kazakhs », rattachés à l’ethnie majoritaire représentant environ deux tiers de la population, et « artistes kazakhstanais », terme englobant aussi bien les Kazakhs que les membres des nombreuses autres communautés nationales et régionales du pays. Le premier artiste à avoir été collectionné par Smagulov, Serenjab Baldano (1930-2014), sculpteur autodidacte, en offre un exemple marquant : originaire de Bouriatie (en Sibérie, au nord de la Mongolie), il travaille le bois en suivant ses nervures et ses aspérités naturelles afin d’en extraire des visages-masques expressifs, dans une veine proche de l’art brut.

La galerie présente également des peintres (Aisha Galimbaeva, Zhanatai Sharden, entre autres), des artistes textiles (Alibay Bapanov, Dilyara Kaipova) ainsi que d’autres sculpteurs (Rysbek Akhmetov, Georgii Tryakin-Bukharov) des XXe et XXIe siècles à la forte originalité stylistique. Cela laisse entrevoir un vaste potentiel à explorer, afin de mettre en lumière une production artistique singulière, née au carrefour des civilisations, des spiritualités et des mouvements migratoires eurasiatiques.

Le musée accorde toutefois une place importante à l’art occidental, considéré comme une vitrine attractive pour le public local et international, mais parfois en décalage avec sa vocation première : la mise en valeur des scènes d’Asie centrale. Ainsi, des sculptures monumentales de Jaume Plensa [voir ill.], Alicja Kwade ou Yinka Shonibare occupent les extérieurs, tandis qu’à l’intérieur se trouvent une fresque en céramique de Fernand Léger, Les Femmes au perroquet (1952-1953), ainsi que des œuvres d’Anselm Kiefer, Yayoi Kusama, Bill Viola et Richard Serra. La présence de ce dernier est révélatrice : Smagulov reconnaît avoir été profondément inspiré par sa visite du Guggenheim de Bilbao, qui présente également une installation monumentale de l’artiste américain.

Almaty Museum of Arts,
28 Al-Farabi, Almaty, Kazakhstan, www.almaty.art

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°663 du 17 octobre 2025, avec le titre suivant : Le Kazakhstan entre en scène

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