Avec le mythique « Normandie » pour fil conducteur, l’exposition montre ces catalyseurs d’art qu’ont été les géants des mers à l’entre-deux-guerres.

Le Havre (Seine-Maritime). Après une escale à Nantes, l’exposition « Paquebots 1913-1942 » a jeté l’ancre au MuMa (Musée d’art moderne André-Malraux) dont le cadre magnifie le récit de l’aventure des grands transatlantiques. La période choisie court de février 1913, qui marque la découverte par le public américain des avant-gardes françaises à l’occasion de l’Armory Show à New York, à février 1942, quand le paquebot Normandie, déjà dépouillé d’une partie de ses somptueux 4 900 décors, brûle et se couche dans le port de la même ville. Ce bâtiment mythique est le fil rouge du parcours qui présente la vie de ces géants, des chantiers navals de Penhoët, à Saint-Nazaire, jusqu’aux accostages sur fond de skyline new-yorkaise.
Adeline Collange-Perugi, responsable des collections d’art ancien au Musée d’arts de Nantes, et Clémence Poivet-Ducroix, attachée de conservation au MuMa et auparavant secrétaire générale de French Lines & Compagnies, l’établissement public qui conserve et valorise le patrimoine historique de la Compagnie générale maritime et de la Société nationale Corse-Méditerranée, co-commissaires scientifiques, ont travaillé de conserve pendant trois ans sur cette exposition. Pour elles et Sophie Lévy, alors directrice du Musée d’arts de Nantes et à l’initiative du projet, il n’était pas question de s’en tenir à la sociologie de ces mondes flottants. Le propos était de montrer les paquebots dans l’art et l’art dans les paquebots.

Les 180 œuvres présentées proviennent de nombreux musées et de collections particulières de France mais aussi des États-Unis, d’Allemagne, de Belgique, d’Espagne et d’Italie. L’influence de l’esthétique industrielle des paquebots sur l’art contemporain se révèle dans tous les domaines : l’architecture et la décoration avec la Maison E-1027 (planche de L’Architecture vivante, hiver 1929) et le Cabinet à tiroirs pivotants (1926-1929) d’Eileen Gray ou le Pichet Normandie (1935) de Peter Müller-Munk ; la peinture avec Paquebot Paris (1921-1922, [voir ill.]) de Charles Demuth, Magie blanche (1926) de Georges Malkine ou Port. Opus 2 (1926) de Victor Servranckx ; l’affiche et l’édition publicitaire avec Le Casino La Pergola à Saint-Jean de Luz (1928) de Robert Mallet-Stevens ou Holland-America Line, Spring 1929 (1928) de A. M. Cassandre. La photographie est magnifiquement représentée : en témoignent Étrave du « Normandie » en cale sèche, Saint-Nazaire (1936) de François Tuefferd ou Voyage inaugural du paquebot « Normandie », cheminée (1935) de Roger Schall.
Les commissaires n’ont pas oublié la place de l’art à l’intérieur des bateaux et montrent des versions réduites des décors de Jean Dunand pour Normandie. Mais les passagers pouvaient aussi s’inspirer de leur voyage à bord, comme Raoul Dufy dessinant « Queen Mary », 19 septembre 1937. En bateau, Blaise Cendrars a écrit le poème « La cabine no 6 » (Feuilles de routes, I. Le Formose, 1924) et, lors du voyage inaugural du Normandie, Jeanne Lanvin a présenté un défilé de mode.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Au Muma, portrait des paquebots en messagers d’art