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Au Crédac, une « nature moderne » source de résilience

Par Éva Hameau · Le Journal des Arts

Le 3 juin 2025 - 509 mots

Le centre d’art envisage la nature comme un espace de résistance. Il propose par là même une réflexion sur la porosité entre culture végétale et art contemporain.

Vue de l'exposition « Une nature moderne » au Crédac. © Marc Domage © Adagp Paris 2025
Vue de l'exposition « Une nature moderne » au Crédac.
© Marc Domage
© Adagp Paris 2025

Ivry (Val-de-Marne). « Jardin infini » au Centre Pompidou-Metz et « Jardins » au Grand Palais en 2017, « Nous les arbres » à la Fondation Cartier en 2019… les expositions sur la forêt, les arbres et les jardins fleurissent dans les institutions ces dernières années. Énième exposition sur le thème, « Une nature moderne » pourrait en rebuter plus d’un. Claire le Restif, directrice du Crédac et commissaire de l’exposition, offre néanmoins une belle réflexion sur la nature comme lieu de résilience.

« Une nature moderne » présente des photographies et dessins de gestes relevant de l’horticulture, de l’architecture paysagère et de la sylviculture douce. Ces jardins et forêts sont « des espaces de résistance », pour reprendre la formule de Gilles Clément. Le jardin cultivé par Derek Jarman après l’annonce de sa séropositivité – objet du journal Modern Nature, qui a donné son nom à l’exposition – est une lutte pour la survie du végétal en territoire hostile, immortalisée par l’objectif de Howard Sooley. Mais, les clichés des jardins de Jarman et de Pierre Creton, et les croquis de la sylvicultrice Léa Muller sont-ils des œuvres d’art ou des archives de gestes ? Une chose est sûre, le Crédac pose la question des secteurs d’activité qu’un centre d’art contemporain peut prétendre couvrir.

Les œuvres plastiques sélectionnées pour l’exposition forment par ailleurs un corpus cohérent et de qualité homogène. Les mauvaises herbes de la série Weed (2007) sculptées par Tony Matelli sont troublantes de réalisme. Ses bronzes oxydés puis peints à la main retranscrivent à merveille le brunissement et la criblure des feuilles grâce à la minutie de ses dégradés de vert et de brun. Ces œuvres font de lui un digne héritier de Giuseppe Penone. Le pionnier de l’Arte povera qualifiait ses propres arbres en bronze d’anti-sculptures en raison de leur capacité à se fondre dans l’environnement : les différentes patines traduisent les couleurs et les nuances de la végétation. Plus loin, Silvana Mc Nulty montre l’étendue de son talent pour le tissage et le crochet. Dans le sillage des feuilles mortes cousues et reliées entre elles par Susanna Bauer, les objets naturels et manufacturés glanés par Mc Nulty accèdent à un second souffle. Ses coquillages insérés à des réseaux de fils crochetés, aux allures de mandalas, sont très délicats.

L’économie de moyens irrigue la scénographie de l’exposition. Celle-ci pourrait être qualifiée de frugale : toutes les pièces de mobilier sont issues d’anciennes expositions du Crédac et plusieurs séries de tirages photographiques n’ont pas été encadrées afin de limiter la production de matériel muséographique. Les textes de l’exposition ont été imprimés sur de simples feuilles de papier. Le centre d’art a aussi misé sur un transport d’œuvres de proximité : les œuvres sont conservées en France, à l’exception d’une création provenant d’Allemagne. Alors que les institutions se contentent souvent d’aborder la question écologique dans leurs programmations sans changer leurs pratiques, la sobriété et la durabilité sont ici au cœur du projet curatorial.

« Une nature moderne »,
jusqu’au 29 juin, Crédac, Centre d’art contemporain d’Ivry, Manufacture des Œillets, 1, place Pierre-Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Au Crédac, une « nature moderne » source de résilience

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