Art moderne

Sur les pas de Cézanne à Aix

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 21 mai 2025 - 1262 mots

Vivre dans les toiles de tableaux, c’est le rêve que l’on peut réaliser dans la ville d’Aix-en-Provence et dans sa campagne, en suivant Cézanne sur les lieux où il a vécu et créé.

Peut-être faut-il se balader dans les rues ensoleillées d’Aix-en-Provence et dans la campagne environnante pour comprendre la quête picturale de Paul Cézanne. « C’est en tout cas l’expérience qu’a vécue et que m’a confiée un vieil artiste chinois, président de l’Académie des beaux-arts de Pékin, que j’ai accueilli il y a quelques années au cœur des carrières de Bibémus. Toute sa vie, il avait admiré Cézanne dans les musées. Avant de mourir, il avait voulu se rendre sur les lieux où ces peintures avaient vu le jour et dont il n’avait jamais percé le mystère. Bouleversé, ce vieillard de 80 ans a murmuré qu’il trouvait enfin, sous le ciel aixois, les réponses à ses questions », confie l’historien de l’art Michel Fraisset, ancien directeur de l’atelier de Cézanne et aujourd’hui directeur de l’office de tourisme d’Aix-en-Provence.Il faut dire qu’à Aix, on croise l’âme de Cézanne à tous les coins de rue. À l’intersection de la rue Pavillon et de la rue de l’Opéra, venant d’une maison coiffée d’une Vierge d’angle, on croit entendre des pleurs d’un nourrisson duquel une jeune femme qui n’est pas encore mariée au père de son enfant vient d’accoucher et qui ne sait pas encore que son fils ouvrira la voie au cubisme. Au fil des rues, voici les échos des rires du même enfant, s’élevant des cours de récréation des écoles qu’il a fréquentées, où il a rencontré Émile Zola, aussitôt devenu son meilleur ami. Là, ses soupirs devant la banque où, jeune homme, il a travaillé avec son père avant de convaincre ce dernier de le laisser apprendre le dessin dans l’école du Musée des beaux-arts. Aujourd’hui devenu le Musée Granet, le lieu conserve 22 de ses œuvres. Et si notre cœur bat face à cette cathédrale Saint-Sauveur où il admira un tableau de Moïse face au Buisson ardent, auquel il s’identifiait, et sous le regard duquel il fut enterré en 1906, c’est surtout en arpentant la campagne aixoise qu’on rencontre, vraiment, l’esprit de Cézanne. Dans les carrières de Bibémus dont l’abandon évoque pour lui la Rome antique peinte par Nicolas Poussin (1594-1665), ou face à la vibrante montagne Sainte-Victoire dont son ami Fortuné Marion (1846-1900), directeur du Muséum d’histoire naturelle, lui explique la formation géologique, on voit, superposés aux lieux, les tableaux qu’il en a peints, reprenant inlassablement le même motif. « Il ne s’agit pas seulement de paysages, mais véritablement de portraits », remarque Michel Fraisset. Ce faisant, Cézanne réinvente la perspective héritée de la Renaissance, par la couleur. En route !

Lumière, couleur et forme

Est-ce un marchand de charbon, propriétaire du lieu, qui aurait badigeonné de noir la façade du château ? Ou bien le diable ? Cet édifice imposant que l’on peut apercevoir depuis le bord de la route du Tholonet, sous les carrières de Bibémus, sur lequel courent toutes sortes de légendes, a fasciné Cézanne, qui a peint non seulement cette demeure, mais aussi d’autres maisons à proximité, comme la Maison Maria, ainsi que les arbres et les grottes qui se trouvaient sur le chemin entre Aix et les carrières de Bibémus.


Vue sur la montagne Sainte-Victoire

Là, dans ce lieu qu’on appelle désormais le Jardin des peintres, Cézanne posait son chevalet pour réaliser son ultime série de la montagne Sainte-Victoire – 11 huiles et 17 aquarelles. Neuf reproductions sur plaque de lave émaillée permettent aujourd’hui de se remémorer les tableaux de Cézanne en contemplant sa montagne inspiratrice. Le paysage, depuis la mort de Cézanne, n’a pas changé : on admire toujours la colline descendant vers la plaine en contrebas, les champs de blé, et cette montagne Sainte-Victoire que Cézanne a représentée pas moins de 87 fois, de 1870 à la fin de sa vie.


La rencontre avec Émile Zola

« J’ai fait un rêve, l’autre jour…J’avais écrit un beau livre, un livre sublime que tu avais illustré de belles, de sublimes gravures. Nos deux noms en lettres d’or brillaient, unis sur le premier feuillet et, dans cette fraternité du génie, passaient inséparables à la postérité », écrit Émile Zola à Paul Cézanne en 1860. Le jeune peintre et le futur romancier, alors âgés d’une vingtaine d’années, se sont rencontrés six ou sept ans auparavant au collège Bourbon, où ils ont aussitôt noué une très forte amitié, qui durera plus de trente ans.


Avec Renoir

À la mort de leur père, Rose, la sœur de Cézanne, achète avec sa part d’héritage la bastide de Bellevue, sur la colline de Valcros, où son mari Maxime Conil possède déjà la ferme de Montbriand. Cézanne représente cette demeure au moins 8 fois, à l’huile et à l’aquarelle. À la fin de l’année 1889, Auguste Renoir (1841-1919) vient y peindre la montagne Sainte-Victoire aux côtés de Cézanne. « Cézanne rapproche la montagne, omniprésente dans sa toile, alors que pour Renoir, qui est classique dans son approche de la perspective, elle apparaît éloignée et beaucoup plus claire, en proportion avec le paysage », observe Michel Fraisset.


L’apprentissage du métier de peintre

C’est dans l’école des beaux-arts, libre et gratuite, installée dans le Musée des beaux-arts d’Aix-en-Provence – aujourd’hui Musée Granet – que le jeune Paul Cézanne apprend le métier de peintre. Il y découvre les artistes qui nourrissent son œuvre future, copiant par exemple les frères Le Nain, dont il se souvient dans ses Joueurs de cartes, ou des peintres aujourd’hui oubliés, comme Félix-Nicolas Frillié (1821-1863) qui inspire son Baiser de la muse, peinture de jeunesse aujourd’hui conservée au Musée Granet parmi 22 œuvres de Cézanne, que sa mère a gardées jusqu’à sa mort.


La source des "Baigneuses"

Le pont des Trois Sautets enjambe la rivière de l’Arc. Sans doute le jeune Cézanne va-t-il s’y baigner avec le jeune Zola et le jeune Jean-Baptistin Baille (1841-1918), avec qui il forme un trio d’« inséparables » comme il le lui dit lui-même dans une de ses lettres. « L’été, tous nos rendez-vous étaient au bord de la rivière, car nous étions pris alors de la possession de l’eau », écrit Zola. S’il peint ce pont dès les années 1860, Cézanne le représente à nouveau à la fin de sa vie, mêlé aux courbes des Baigneuses.« Là, il oublie la forme, et la couleur prédomine de façon absolument magnifique », décrit Michel Fraisset.


Terre promise

Dans la cathédrale Saint-Sauveur, Cézanne, très pieux à la fin de sa vie, admire un tableau de Moïse face au Buisson ardent. « Le dimanche, nous allions à la messe. Il était vêtu de son mieux. Il s’asseyait au banc de la Fabrique et suivait attentivement l’office [...] J’avais vu Cézanne autrefois à cette place, sous le grand tableau du Buisson ardent, dont le Moïse lui ressemble si étrangement », raconte le peintre Émile Bernard (1868-1941), ami de Cézanne. Comme Moïse, Cézanne espérait être prophète d’une terre promise – celle de la peinture moderne…


Un atelier en plein air

Entre les années 1890 et 1904, les carrières de Bibémus deviennent l’atelier en plein air de Cézanne. Dans ce lieu abandonné, dont les pierres ont servi à bâtir la ville d’Aix de l’époque romaine jusqu’au XVIIIe siècle, où la roche aux teintes ocre tranche avec le vert intense des pins et l’azur du ciel, le peintre « a loué un cabanon aux carrières du barrage et y passe la plus grande partie de son temps », écrit le critique d’art Numa Coste à Émile Zola. Cézanne y laisse son matériel de peintre et ses œuvres en cours. Il y réalise près d’une trentaine de tableaux, annonciateurs du cubisme.

info
Office de tourisme d’Aix-en-Provence,
300, avenue Giuseppe-Verdi, www.aixenprovencetourism.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°786 du 1 juin 2025, avec le titre suivant : Sur les pas de Cézanne à Aix

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