Art contemporain

L’éternel printemps de David Hockney

Par Olivier Celik · L'ŒIL

Le 19 mars 2025 - 1407 mots

Peu d’artistes ont comme lui autant célébré la vie, malgré le temps qui passe et les drames qui se sont dressés sur son chemin. Une exposition à la Fondation Louis Vuitton d’une ampleur inédite, dont le commissariat général est assuré par Suzanne Pagé, permet d’embrasser les vingt-cinq dernières années d’une production fertile, insatiable et toujours ouverte aux nouveautés.

David Hockney (né en 1937) est un personnage. So british, élégant et subtilement provocateur à la fois. Et surtout un travailleur acharné, et un peintre absolument. Rien, dans sa production, ne semble accuser le poids des ans. Certes, le corps, bientôt âgé de 88 ans, est fatigué. Mais le regard, l’envie et le désir de saisir la simple réalité des êtres et des choses sont d’une jeunesse étourdissante.

« David Hockney, avec son élégance habituelle, réserve une surprise dans l’exposition, explique Suzanne Pagé, commissaire générale de l’exposition et directrice artistique de Fondation Louis Vuitton. Habillé comme dans son dernier autoportrait, il accueille le public. Et à la fin, il fait comme un au revoir, on ne sait pas trop à qui, ou à quoi. C’est à la fois lucide, à la fois un pied de nez à la fatalité, dans un style et un humour qui n’appartiennent qu’à lui. C’est très émouvant. » David Hockney, dont c’est la plus grande exposition à ce jour, s’est beaucoup investi dans la préparation, au point de réaliser trois nouveaux portraits pour l’occasion. Il a lu et relu les épreuves du riche catalogue qui accompagne l’événement. Une exposition crépusculaire ? « Non, tient à préciser Suzanne Pagé. Ce sera solaire. Pendant la pandémie, il envoyait ce message à ses amis : “Do remember they can’t cancel the spring” [Souvenez-vous qu’on ne peut annuler le printemps]. C’était un message d’espoir, qu’il envoyait avec un bouquet de jonquilles. Je tenais à ce que cette phrase soit placée en néons sur la façade de la Fondation. »

Les vingt-cinq dernières années

Ce n’est pas la première exposition de Hockney à Paris. Celle du Centre Pompidou en juin 2017, en collaboration avec la Tate Britain de Londres et le Metropolitan Museum de New York à l’occasion des 80 ans de l’artiste, avait fait événement, tout comme celle, plus récente, à l’Orangerie « A Year in Normandie » en 2021. Mais celle-ci prend le parti de raconter, avec plus de 400 œuvres, les 25 dernières années de sa carrière, ajoutant quelques tableaux iconiques des périodes précédentes. « Ça va être bien, je crois », déclare l’artiste qui ajoute à propos de l’exposition : « J’ai choisi de me concentrer sur les vingt-cinq dernières années, en m’inspirant du temps que j’ai passé dans le Yorkshire, à Los Angeles, en Normandie et à Londres. » Cette période correspond à un moment particulier sur le plan biographique. « Elle est en effet, explique Suzanne Pagé, le fruit d’un travail en commun avec son partenaire Jean-Pierre Gonçalves de Lima. Bien sûr, nous pourrons voir les œuvres mythiques de la période californienne (A Bigger Splash, 1967, Portrait of an Artist (Pool with Two Figures), 1972 ou encore A Bigger Grand Canyon, 1998), et aussi les premières œuvres de la période où il vivait encore à Bradford (Angleterre), sa ville de naissance (Portrait of My Father, 1955). On voit d’ailleurs dès les débuts, qui sont brillants, qu’il est déjà très provocateur, pas seulement par un style très “graffiti”, mais par l’affichage de son homosexualité, qui était alors encore un délit en Angleterre. Ensuite, nous entrerons dans ce qui nous occupe : les grands paysages du Yorkshire, où il s’installe après la Californie, et ceux de Normandie, des périodes où il ne cesse, en parallèle, de réaliser des portraits. »

Le paysage apparaît d’ailleurs assez tard dans la carrière du peintre et correspond aussi à un retour au pays natal, une attention particulière aux saisons et aux lumières. « Il retrouvait dans le Yorkshire un rapport à sa mère, décédée en 1999, et dont il était très proche. Il est d’ailleurs retourné vivre dans la maison maternelle. Il avait à l’époque un ami malade du cancer, qu’il visitait tous les jours, et avait donc quotidiennement un rapport aux paysages. Des paysages d’ailleurs assez ingrats. Hockney disait que même William Turner et John Constable, de grands peintres paysagers, n’avaient jamais représenté cette région. Il attendait l’arrivée du printemps dans le Yorkshire et pouvait tout laisser tomber pour aller peindre les premières fleurs des aubépines (May Blossom on the Roman Road, 2009), ou celle de l’hiver pour un paysage monumental (Bigger Trees near Water or/ou Peinture sur le Motif pour le Nouvel Âge Post-Photographique, 2007). »

Hockney peint ce qu’il voit

Hockney, comme dans les autres périodes de sa vie, est un peintre profondément figuratif. Il peint ce qu’il voit. Il montre ce que tout le monde voudrait voir. Il réenchante le réel avec sa palette de couleurs. Il possède une faculté extraordinaire de s’émerveiller de tout. Il est simultanément un esprit très intellectuel, qui a tout vu, tout lu, qui a écrit des traités assez savants sur l’optique et la perspective, et il a toujours le premier regard de l’enfant. Il est aussi très curieux de tous les nouveaux médias. À chaque fois qu’une nouvelle technique apparaît, il est l’un des premiers à l’adopter. « Mais toujours comme un peintre, précise Suzanne Pagé. Il travaille avec l’iPad, dans la série “220 for 2020”, où il capte, jour après jour, saison après saison, les variations de la lumière. Pour lui, c’est un outil formidable, car c’est comme une toile éclairée, ça lui permet de peindre la nuit ! Hockney pense peinture, il ne cherche qu’à faire de la peinture. D’ailleurs, le dernier étage de l’exposition, qui a entièrement été pensé par lui, est consacré à l’histoire de l’art. Il a une grande connaissance des recherches qu’ont menées les artistes sur la représentation de l’espace, et il met en pratique ce qu’il appelle la “perspective inversée”. Il reproduit ainsi des œuvres de Cézanne, Picasso, Van Gogh, Blake, Munch, Fra Angelico. Ici, nous sommes dans son cerveau. Puis on passe dans son atelier, un espace de vie où il y a de la musique, où il invite à danser, avec une vidéo, très troublante là aussi, qui semble réaliste mais qui est un montage quasiment impossible, où chaque élément est à côté d’un autre, selon un point de vue différent. De la même manière, on a des portraits de fleurs, des choses très simples, toujours sur fond marron avec des nappes à carreaux ; et puis il y a un tableau où l’on voit ces 20 portraits de fleurs regardés par un spectateur assis devant. Et c’est Hockney lui-même qui se représente. C’est simple et sophistiqué, comme toujours. L’exposition s’achève sur des décors d’opéra et sur ses trois derniers tableaux inédits, plus spirituels, comme il dit. »Et Suzanne Pagé, de conclure : « Chaque étage de l’exposition est très différent. On comprend que Hockney s’est toujours donné les moyens de faire ce qu’il voulait, d’afficher et d’assumer ce qu’il a toujours été et qui il est devenu. Il est lui, incroyablement libre. Il a inventé des évidences. La lumière, les couleurs, les perspectives. Tout est d’une clarté miraculeuse. La peinture de Hockney, ça s’impose. Oui, ça s’impose, et ça se partage. » Laissons le dernier mot à l’artiste : « Peu d’artistes ont repris aussi fréquemment les mêmes thèmes et les mêmes modèles pendant plus de soixante ans. Ce que j’essaie de faire, c’est de faire partager aux gens quelque chose, parce que l’art, c’est le partage. On n’est pas artiste si on ne veut pas partager une expérience, une pensée. C’est le maintenant qui est éternel. »

 

9 juillet 1937
Naissance à Bradford, en Angleterre
1959
Entrée au Royal College of Art de Londres, où il développe son style unique et se fait remarquer
1964
Installation en Californie, où il découvre la lumière et les piscines qui deviendront des motifs récurrents dans son œuvre
1972
Peinture de « Portrait of an Artist (Pool with Two Figures), »l’une de ses œuvres les plus célèbres
Années 1980
Expérimentation avec la photographie et création de ses célèbres photomontages en « Joiners »
Années 1990-2000
Exploration des nouvelles technologies, notamment le dessin sur iPad et ordinateur
2018
« Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) »est vendu 90,3 millions de dollars [86,6 M€], battant un record pour une œuvre d’un artiste vivant
2021
Présentation de son exposition « A Year in Normandie » au Musée de l’Orangerie, illustrant le paysage normand avec des dessins réalisés sur iPad
2025
Exposition « David Hockney 25 » à la Fondation Louis Vuitton, Paris
À voir
« David Hockney 25 “Do remember they can’t cancel the spring” »,
Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma Gandhi, Paris-16e, du 9 avril au 31 août, www.fondationlouisvuitton.fr
À LIRE
Catalogue de l’exposition (à paraître le 9 avril) :
Norman Rosenthal, « David Hockney »,
coédité par Thames & Hudson et la Fondation Louis Vuitton, 2025, 328 p., 49,90 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°784 du 1 avril 2025, avec le titre suivant : L’éternel printemps de David Hockney

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