Art contemporain

Love Life

Par Jean Frémon · L'ŒIL

Le 19 mars 2025 - 481 mots

Président de la Galerie Lelong & Co (Paris et New York), écrivain, Jean Frémon représente le travail de David Hockney en France, et entretient une relation privilégiée avec l’artiste, son ami, qu’il partage ici.

Sur le mur de son exposition au Centre Pompidou en 2017, David Hockney avait écrit d’un coup de pinceau : « Love Life » suivi de ses initiales. Ce n’était pas seulement le mot d’ordre hédoniste de celui qui, le premier, introduisit dans l’histoire de la peinture le décor et le mode de vie californien. C’étaient les années 1960, ciel bleu, liberté sexuelle et bigger splash dans la piscine. Des tableaux à la composition si claire qu’ils restent dans toutes les mémoires.

Or il ne faut pas croire que cela coule comme l’eau de source. Les tableaux de David Hockney, pour atteindre à cette clarté, à cette simplicité, sont l’objet d’un travail acharné. Quand il ne peint pas, Hockney réfléchit à ce qu’il vient de peindre, à ce qu’il va peindre. Il y pense tout le temps. En s’endormant et dès qu’il se réveille. Chaque coup de pinceau est médité, autonome, lisible. « Rien de bien n’a jamais été fait autrement », l’ai-je entendu dire avec un petit sourire.

Jamais il ne fut plus heureux ni plus productif que pendant le confinement de 2020. Installé depuis peu dans une vieille maison normande posée au milieu d’une prairie descendant jusqu’à une petite rivière, le confinement le privait de tout voyage et de toute visite : quelle aubaine ! Il pouvait travailler tout le temps et sans sortir de chez lui. Nous étions voisins, je lui portais des livres : Proust, Flaubert, Maupassant, il voulait comprendre mieux le paysage normand par les descriptions qu’en firent ces écrivains. Quand je vous dis qu’il travaille tout le temps !

Clair de lune, le subtil conte de Guy de Maupassant (1882) a déclenché toute une série de tableaux qui se sont trouvés réunis sous le titre savoureux de « The Moon Room ». Et pendant ces journées moroses où le monde était privé de tout, le peintre célébrait l’arrivée du printemps en faisant remarquer que ça au moins, on ne pouvait l’interdire ni l’annuler.Depuis maintenant soixante-cinq ans, David Hockney est le narrateur de son œuvre. Il peint les lieux où il vit, ce qu’il voit de sa fenêtre, le passage des saisons… Il peint ses assistants et ses amis (jamais un portrait de commande) et, le cas échéant, lui-même. En somme, il peint sa vie, la vie qu’il aime tant. Son œuvre est une vaste autobiographie en images. Après le pays d’Auge, c’est Londres de nouveau, et on le voit dans son plus récent tableau, en costume, cravate et lunettes jaunes, affairé à un dernier autoportrait dans le jardin, pinceau dans une main et cigarette dans l’autre. C’est le legs d’un vieil homme qui a su garder vivant en lui le regard de l’enfant que le monde émerveille.

À LIRE
Jean Frémon, « Probité de l’image »,
L’Atelier contemporain, collection « Essais sur l’art » , 2024, 248 p., 25 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°784 du 1 avril 2025, avec le titre suivant : Love Life

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