Centre d'art

Magasin de Grenoble : retour sur une décennie de tensions

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2025 - 1007 mots

L’ancien directeur du centre d’art licencié pour faute en octobre 2015 a obtenu réparation. Il dénonce aujourd’hui une entreprise de dénigrement et d’effacement.

Le Magasin de Grenoble. © Le Magasin, centre national d'art contemporain, 2022
Le Magasin de Grenoble.
© Le Magasin, centre national d'art contemporain, 2022

Grenoble. C’est une information à retardement, et qui n’a pas fait beaucoup de bruit jusqu’à présent. Le 14 septembre 2023, la chambre sociale de la cour d’appel de Chambéry, saisie sur renvoi par la Cour de cassation, a rendu un arrêt où elle a retenu la résiliation judiciaire du contrat de travail de Yves Aupetitallot aux torts de son employeur, l’association Centre national d’art contemporain de Grenoble, dite le Magasin, au motif de harcèlement moral, entraînant la nullité de son licenciement pour faute du 30 octobre 2015.

Après une ultime relance, le Magasin a réglé, le 18 septembre 2024, le restant dû en exécution de l’arrêt et l’ancien responsable, désormais à la retraite, reprend la main sur la communication de cette affaire vieille de dix ans. Pourquoi s’exprimer seulement maintenant ? Yves Aupetitallot explique avoir longtemps été tenu par un devoir de réserve. Une fois l’arrêt rendu, il a préféré attendre que ses indemnités lui soient dument versées avant de contacter les médias. Ce retournement de situation constitue en quelque sorte une réhabilitation. Yves Aupetitallot, qui avait commencé son mandat en 1996, avait été licencié en 2015 pour faute grave, par suite d’accusations concernant ses « méthodes de travail aux conséquences néfastes sur la santé des salariés et la pérennité de la structure ».

Béatrice Josse lui avait succédé en 2016, pour un exercice marqué par des différends avec ses tutelles, une baisse importante des subventions et une réorientation radicale de la programmation. Elle avait démissionné en mars 2021, après plusieurs mois d’arrêt maladie. Le centre d’art est resté fermé au public entre 2020 et novembre 2022, date où il a enfin rouvert sous la direction de Céline Kopp. Celle-ci a officiellement pris la tête de l’établissement en janvier 2022 et lui a impulsé une nouvelle dynamique. Plusieurs recrutements ont permis de reconstituer l’équipe, qui était réduite à cinq personnes. Quant à Anne-Marie Charbonneux, l’ex-présidente du conseil d’administration, en conflit avec les deux directions précédentes, elle a été remplacée par Estelle Pagès (directrice de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon). L’entente semble rétablie entre l’équipe et les tutelles.

Un harcèlement reconnu par la Justice

Mais voilà, donc, que le passé ressurgit. Car Yves Aupetitallot a quelques griefs à faire valoir. Le tribunal de Chambéry a reconnu qu’il avait été victime de harcèlement. « La chose est jugée par quatre instances différentes et elle fait autorité. Le dossier est clos », martèle-t-il. Il a su se montrer patient : une première décision de justice lui avait été favorable, cassée par un appel. Puis la Cour de cassation avait renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Chambéry. L’ancien directeur du Magasin explique aujourd’hui que son éviction brutale résulte d’une conjonction d’intérêt entre d’une part une présidente du conseil d’administration, Anne-Marie Charbonneux, « qui entendait exercer beaucoup plus de pouvoir que ses attributions ne lui en conféraient » en empiétant sur ses prérogatives opérationnelles de directeur. Et d’autre part l’arrivée en 2014 à la municipalité de Grenoble de la liste conduite par Éric Piolle, dont il déplore les choix « idéologiques ».

« Il n’a jamais été question de harcèlement moral, mais de défaut de gestion. De fait, la grève, à l’initiative exclusive des salariés, était l’ultime moyen de faire entendre notre voix quant à la situation financière et humaine de la structure, assez catastrophique à l’époque », témoigne une ancienne employée souhaitant garder l’anonymat.

Quand on évoque devant lui la mise en cause de sa gestion, qui aurait entraîné un déficit mettant en péril l’établissement, Yves Aupetitallot se récrie :« Mais pas du tout, au contraire. Les subventions publiques baissaient et j’avais mis sur pied un plan de financement. Il fallait repenser le modèle. Je souhaitais développer une économie mixte, avec des apports privés. Mais cela allait contre la vision de l’équipe municipale EELV », assure-t-il.

L’intention était de le faire craquer, il en est persuadé. Il remarque qu’au sein de l’équipe dont il avait la responsabilité « les trois personnes les plus actives pour solliciter mon départ et aller dans le sens d’un harcèlement collectif occupent à présent des postes de cadres du service culturel de la Ville de Grenoble ». Une thèse que reprend le média local Place Gre’net, dans un article paru sur son site, le 25 avril dernier.

Pourtant, l’ancien directeur, désormais à la retraite après trois ans d’arrêt maladie, ne souhaite pas tant rouvrir le dossier que mettre en évidence une logique dont le Magasin est selon lui la première victime. «À quoi cet exemple-là peut-il servir ? Qu’est-ce qui est arrivé après ? Il y a eu une longue période de transition douloureuse, avec une vague de départs, une directrice en arrêt maladie puis à nouveau une fermeture. Le Magasin n’a finalement rouvert, exsangue, qu’en 2022 et sans que les travaux indispensables aient été effectués. » Yves Aupetitallot s’étonne par ailleurs de constater, au-delà de son propre effacement programmé, celui des archives historiques en ligne. Il s’agit, selon Céline Kopp, d’un malentendu. « Il n’y a aucune volonté d’effacement. À mon arrivée, Le Magasin était fermé, le bâtiment avait été squatté. On a constaté des intrusions malveillantes dans les serveurs et une perte totale des données », explique l’actuelle directrice du Magasin. La directrice précédente, Béatrice Josse, ayant procédé à un dépôt des archives papier du centre d’art aux archives départementales de l’Isère, « il ne restait plus qu’à lancer la numérisation… tout en rouvrant, en concevant la programmation, en recrutant ». On comprend que ce chantier ait pu prendre un peu de temps et qu’il a mobilisé des ressources importantes, notamment pour s’acquitter du droit à l’image auprès des artistes. « L’association française de développement des centres d’art (DCA) s’est beaucoup investie sur le sujet et nous avons négocié une convention numérique avec l’ADAGP. Le magasin est en cours de signature. Je suis impatiente de voir ce site enfin mis en ligne. »

L’histoire du Magasin sera ainsi rétablie dans toute sa richesse, et sa complexité. Mais pas sûr que les péripéties judiciaires avec son ex-directeur y figurent.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Magasin de Grenoble : retour sur une décennie de tensions

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