Clarisse Hahn : « J’ai toujours filmé les rituels »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 7 avril 2015 - 713 mots

L’artiste Clarisse Hahn observe les communautés contemporaines et leurs rituels à travers l’œil
de sa caméra vidéo.

Observer des formes de rituels contemporains, c’est l’exercice auquel se livre Clarisse Hahn (née en 1973) à la galerie Jousse Entreprise, à Paris. Elle montre notamment « Rituels », une installation de cinq vidéos tournées lors de cérémonies kurdes, d’une soirée sado-masochiste (SM) ou d’une manifestation de rue.

Vous liez systématiquement les idées de rituel et de communauté. Qu’est-ce pour vous qu’un rituel aujourd’hui ?
J’ai toujours filmé les rituels, les communautés, les codes comportementaux. Je me suis toujours intéressée aux situations de groupe et au langage du corps, à la façon dont on peut exprimer son appartenance à un groupe par un langage non verbal, corporel. Je pense que l’on appartient tous au moins à une communauté, et tous les rituels montrés dans ces vidéos sont des cercles qui se croisent, des manières d’être ensemble.

Depuis une centaine d’années, les structures traditionnelles de nos sociétés occidentales sont remises en question, on s’interroge sur le couple, la vie en groupe, le rôle que chacun peut avoir par rapport à la société, à la famille. Les structures traditionnelles sont encore présentes mais elles glissent, elles sont parfois plus ou moins fortes. Je me suis par exemple intéressée à des rituels de la communauté kurde alévie, qui pratique un islam chiite mélangé à d’anciennes religions païennes. Il y a chez eux une cérémonie qui s’appelle « Cem » que j’ai filmée au Kurdistan turc mais aussi à Arnouville, en région parisienne [Cem (là-bas), Cem (ici)] : ce n’est pas du tout la même ambiance.
Je pense que la question de « comment on fait pour être avec les autres » est centrale aujourd’hui et n’a pas été résolue. Dans les années 1960-1970, on parlait beaucoup des communautés. On en parle moins. C’est une chose que j’interroge dans mon travail de manière constante en étudiant différents groupes, différentes manières d’être ensemble, différentes propositions de vie. Quand on est dans le SM, on est dans le rituel.

Justement à propos du film « Émeute », en quoi est-ce que les débordements d’une manifestation pro-palestinienne constituent-ils un rituel ?
En France, la manifestation est un rituel. Et là les émeutes apparaissent comme des débordements bien gérés : la castagne avec la police, les poubelles qui brûlent, les policiers qui envoient les gaz lacrymogènes. Je trouve que ce sont des gestes ritualisés, une manière d’être, de montrer son corps, de faire corps, de montrer un corps collectif qui est ritualisée.

Qu’est-ce qui détermine le choix des groupes sur lesquels vous vous focalisez ?
Tous les rituels que j’ai choisis sont syncrétiques, et ce sont aussi des rituels de dépassement, des débordements s’y produisent: la manifestation dérape à un moment ; lors de la soirée SM [Les soirées de Maîtresse Karima] un hypnotiseur fait avoir un orgasme à une femme… Et, au cours de la cérémonie kurde, des gens se mettent à pleurer ; il y a différents moments : les émotions sont modulées, la transe est un phénomène hystérique pour moitié vrai et pour moitié relevant de la comédie démonstrative.

Si on extrapole, les débordements sont-ils une manière de percevoir quelque chose de l’ordre de l’exacerbation ?
Je ne filme jamais des pertes de contrôle. Même les émeutes pro-palestiniennes restent un chaos bien géré, personne ne s’y est comporté de manière trop dangereuse face à la police. Ces débordements sont toujours régulés par la société, toujours inclus dans un rituel social, ils sont comme des éléments constructeurs de la vie sociale et de l’individu.

Vous parlez de « chorégraphie sociale » à propos du rituel. De quoi s’agit-il précisément ?
Cela répond à la question : « comment fait-on pour pour vivre ensemble ? » Comment trouve-t-on un équilibre à l’intérieur d’une communauté ? Ceci sachant que je m’intéresse particulièrement à des communautés où l’équilibre est toujours instable : il s’agit souvent de situations extrêmes dans lesquelles, malgré tout, on tente de maintenir un équilibre, comme dans les communautés kurdes en guerre. Il y a quelque chose de similaire avec le SM où il s’agit de jouer avec des situations extrêmes, tout en restant dans un certain équilibre, dans une répétition. Et à un moment les forces s’équilibrent et se déséquilibrent à l’intérieur de ce groupe.

CLARISSE HAHN. MISES EN SCÈNE

Jusqu’au 25 avril, Jousse Entreprise, 6, rue Saint-Claude, 75003 Paris
tél. 01 53 82 10 18
tlj sauf dimanche 11h-19h, lundi 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Clarisse Hahn : « J’ai toujours filmé les rituels »

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